Frontenac_T1
En ce qui concerne les miens, vous savez que nous nâavons jamais agi contre les Français ni désobéi à notre Père, auquel nous sommes résolus de demeurer fidèles. Dites-nous ce que vous attendez et nous marcherons...
Un effroyable cri de mort retentit alors, poussé dâune voix sépulcrale et suivi de hurlements propres à glacer le sang. Les guerriers bondirent sur leurs pieds. Câétait le signal dâune présence ennemie.
Puis apparut celui qui était la cause dâun pareil émoi. La Plaque, un Iroquois chrétien, sâavança résolument devant Frontenac.
â Grand Onontio, je reviens dâAlbany où jâai été envoyé par les miens en reconnaissance. Jâai vu sur les bords du lac Saint-Sacrement une armée de plusieurs centaines dâhommes occupés à faire des canots. Je leur ai laissé trois casse-tête pour leur signifier quâils étaient découverts et leur lancer un défi.
Après quelques précisions où il apparut que lâéclaireur disait vrai, Louis prit la parole à son tour. Il tenta de mettre au service de sa cause toute sa puissance de conviction.
â Mes enfants, vous voyez votre Père ravi de constater la disposition dans laquelle vous êtes de ne vouloir faire ni paix ni trêve avec lâIroquois. Puisque vous penchez si fort pour la guerre, qui est autant de votre intérêt que du nôtre, ne doutez plus que je ne fusse moi-même résolu à la poursuivre sans relâche. Je... ne... poserai... point... la hache... tant que... les Cinq Nations... ne seront pas... humiliées et défaites!
Il avait volontairement espacé ses paroles pour leur donner davantage de poids. Un tonnerre dâapprobation sâéleva dans lâassemblée. Louis attendit fort habilement que le calme fût revenu, pour continuer dans un rythme plus emporté :
â Je vous exhorte à harceler sans relâche ces nids de vipères jusquâà ce que lâon soit en état dâaller les attaquer et les brûler dans leur propre pays! Si jâai frappé dâabord les Anglais, câest que jâai cru devoir commencer par les vrais auteurs du mal. Si jâai fait épargner les Agniers à Schenectady, câétait pour les forcer à se rendre aux sollicitations dâOureouaré; mais puisquâils continuent à abuser de ma bonté, je les pousserai à toute outrance et jusquâà ce quâils soient réduits à quémander humblement la paix. Et je vous prie de croire que si cette paix vient à se conclure, elle ne se fera jamais sans votre participation et sans prendre autant de précautions pour votre sûreté que pour celle des Français, puisque vous êtes également mes enfants!
Les mêmes manifestations dâenthousiasme fusèrent à nouveau et couvrirent les dernières paroles du gouverneur. Le message était clair et fait pour enflammer les esprits. Louis profita de cette atmosphère dâeuphorie pour abattre une autre carte. Il fallait retenir à Montréal le plus longtemps possible ce renfort inespéré de cinq cents hommes, parfaitement aguerris, pour aider à faire face à la menace qui couvait et gagner assez de temps pour permettre aux habitants de faire leurs récoltes.
â Voyez comme lâennemi nous serre de près. Il est déjà à nos portes et prêt à fondre sur Montréal. Je vous crois trop braves gens et trop sincèrement attachés à ma personne et aux Français pour nous abandonner à la veille dâêtre attaqués.
Voyant que ses paroles portaient et que les jeunes guerriers commençaient à trépigner sur leur natte, Louis continua :
â Quoi quâil en soit, je vous remets la hache de guerre, en étant persuadé que vous saurez vous en servir.
Sur ce, Frontenac se leva, descendit de lâestrade et entreprit une espèce de danse à la mode des sauvages, lente et syncopée, tenant un tomahawk * à bout de bras et entonnant une étrange et vigoureuse chanson de guerre. Il sautait et tournait sur lui-même en entrecoupant ses paroles de telles échappées gutturales que cela en était saisissant de vérité. Faute de savoir comment chanter ses propres exploits, il entreprit de réciter ceux de Rolland, dans une des plus belles strophes de cette chanson
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