Frontenac_T1
les hommes eurent retraversé le Saint-Laurent, Louis sâempressa de répartir ses mousquetaires dans les paroisses avoisinantes afin de protéger les moissonneurs. Puis il donna congé aux alliés en leur distribuant à nouveau de nombreux présents. Ses paroles dâadieu, ses gages dâamitié et de fidélité ainsi que la gentillesse de ses manières firent que les Indiens repartirent contents de leur Père et de tous les Français.
Ils avaient à peine quitté Lachine que les canons tonnaient à nouveau. à La Fourche, tout près de lâendroit où campaient la veille les troupes, sâélevait un long panache de fumée noire. Louis y dépêcha deux cents hommes commandés par le sieur de Valrennes. Mais la troupe de Schuyler avait eu le temps de disparaître après avoir massacré des habitants aux champs, égorgé le bétail et incendié les fermes. Tout flambait à la ronde. Vingt-deux hommes, deux femmes et trois enfants avaient été tués ou faits prisonniers. Plus loin, dâautres attaques-surprises avaient causé une trentaine de morts, dont celles de deux excellents officiers, le chevalier de la Motte et le sieur Murat. Lâéchec était patent et la gifle, retentissante.
* * *
Louis promenait une mine de déterré. Il était humilié. Comment avait-il pu être confiant au point de retirer le gros des troupes quand tout concluait à une attaque imminente? Il savait pourtant par expérience quâune armée entière pouvait se dissimuler dans ces vastes forêts sans quâon pût en déceler la moindre trace. Il perdait la face devant ses hommes, et surtout, devant la population, dont il trahissait la confiance. Tous ces morts qui auraient pu être évités... Le détachement du commandant Valrennes avait au moins réussi à prendre les troupes de Schuyler à revers et à leur infliger de lourdes pertes. Mais Louis sâen voulait de ne pas avoir été plus attentif. Il sâétait isolé pour cacher sa honte et panser ses plaies tout en rabâchant des scènes dâéchec durant des heures, lâestomac noué par les aigreurs.
En déambulant dans les jardins de Callières, ce soir-là , il croisa Marie-Madeleine de Champigny qui prenait lâair, accompagnée de son mari et du gouverneur de Montréal. La triste figure quâil affichait dut lâinquiéter, car elle abandonna aussitôt ses compagnons et prit dâautorité le bras de Frontenac pour lâentraîner dans le sens opposé.
â Il me semble que vous êtes dur pour vous-même. Nâoubliez pas que les habitants et les troupes de La Fourche sont allés moissonner sans prendre dâarmes ni poster de sentinelles, comme vous le leur aviez expressément recommandé. Ils en portent aussi la responsabilité. Nous sommes engagés dans une guerre cruelle dont il est difficile de parer tous les coups. Vous avez fait ce qui était humainement possible pour protéger la population.
â Que non, madame. Jâai bêtement retiré mes troupes au moment où le danger était extrême. Je me suis laissé prendre comme un novice. Je nâai aucune excuse et jâaurais dû prévoir. La vérité, câest que je ne suis plus lâhomme de la situation. Je ferais mieux de passer la main.
â Je nâen crois rien. Les gens ont toujours pleinement confiance en vous. Grâce à vos talents de diplomate, nos sauvages sont restés assez longtemps pour permettre aux fermiers de poursuivre leurs récoltes. Et vous avez admirablement récupéré nos alliés. La manÅuvre a été si habile quâils sont repartis déterminés à se battre à mort désormais. La partie nâétait pourtant pas gagnée.
â La partie nâétait pas gagnée par ma faute encore. En voulant à tout prix amener les Iroquois à la paix, jâai négligé de rassurer mes alliés et les ai acculés à trahir. Ils sont plus clairvoyants que je ne le croyais et capables dâun revirement spectaculaire. Et... malheureusement... continua-t-il sur un ton de voix catastrophé, dans lâétat où est présentement la colonie, madame... je crains bien quâil ne faille un miracle pour faire la guerre aux Iroquois... et un autre plus grand encore pour faire la paix
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