Frontenac_T1
beaucoup plus chères que celles des douze colonies anglaises. Une inégalité que les différents gouverneurs avaient toujours compensée par des « dédommagements » propres à rétablir lâéquilibre et à calmer les esprits.
Connaissant lâengouement des Indiens pour les fusils de fabrication française, en particulier pour le long fusil de traite ressemblant à celui des pirates, flibustiers et autres écumeurs de mer qui infestaient le Saint-Laurent, Louis leur en offrit une centaine, à titre gracieux. Nâétait-il pas dans lâintérêt de la Nouvelle-France dâavoir des alliés bien armés, capables dâopposer une puissance de feu équivalente à celle des Iroquois? Et pour faire bonne mesure, il leur donna aussi une cinquantaine de fusils à long canon enjolivés de garnitures de cuivre jaune et trois fusils de chasse de Tulle, lourds et robustes, et dont les chefs étaient particulièrement entichés.
Fusils fins et fusils de chasse furent bientôt alignés dans lâherbe, à la grande joie des convives qui quittèrent aussitôt leur siège pour les voir de plus près. Les sachems se les passèrent de main en main en sâextasiant sur leur légèreté, leur robustesse ou lâélégance de leur ligne. Tout fut passé au peigne fin : la platine, la détente, la longueur du canon, la culasse, le chien, la butée, comme les motifs décoratifs qui garnissaient les contre-platines, les sous-gardes et les retours de plaque. Les Indiens étaient des connaisseurs et de fort bons tireurs, même sâils ne savaient pas réparer leurs armes.
â Jâai une nouvelle recrue, un excellent armurier qui fera le voyage de retour avec vous. Il ne sera pas de trop pour prêter main-forte au sieur Charbonneau, sâempressa dâajouter Louis, soulagé de voir apparaître des sourires de satisfaction sur les visages matachés de ses invités.
Lâatmosphère se détendit et le reste des agapes continua sur la même erre dâaller.
* * *
Normalement, la traite durait de quarante-huit à soixante-douze heures. La flottille repartait aussitôt, car le chemin de retour était long et les Indiens nâaimaient pas savoir leurs villages privés de bons guerriers et exposés aux insultes de lâennemi. Mais cette fois-ci, Louis réussit à les retenir en multipliant les caresses, les présents et les appels aux bons sentiments. Bien lui en prit, car le 29 du mois dâaoût, par un matin clair et frais, le chevalier de Clermont se présenta devant lui. Il était accompagné dâun prisonnier anglais et porteur de nouvelles de conséquence.
â Monseigneur, lui apprit lâofficier, jâavais ordre de remonter la rivière de Sorel pour surveiller les environs. Ce prisonnier que jâai fait moi-même sur les Anglais pourra confirmer mes dires.
Le jeune militaire qui lâaccompagnait nây comprenait rien, mais faisait des « oui » répétés de la tête, en signe de bonne volonté. Il était grand, maigre et visiblement épuisé. Ses chausses étaient couvertes de boue et la barbe lui mangeait les joues. Louis laissa courir sur lui un regard inquisiteur, quâil ramena bientôt sur Clermont.
â Monseigneur, jâai la confirmation que des soldats de Boston, de Plymouth, du Connecticut et de la Nouvelle-York, placés sous le commandement du général Fritz John Winthrop, se sont mis en marche, il y a quelques semaines, pour rejoindre un fort contingent dâIroquois. Leur objectif est dâenvahir le Canada par terre, pendant quâune flotte attaquerait par mer. Ils ont longtemps attendu les Iroquois qui devaient leur fournir un renfort de mille cinq cents hommes.
Louis sourcilla. Tout cela lui semblait énorme. Et pourtant, les indices accumulés à ce jour convergeaient. Voilà bien pourquoi il nâavait plus eu de nouvelles des Iroquois : ils préparaient une attaque massive aux côtés des Anglais... Il ne pouvait pas sâétonner, après trois descentes victorieuses contre les villages ennemis, de voir ces derniers riposter à leur tour.
â Mais il semble que rien ne se soit passé comme prévu, monseigneur. Les soldats promis ne sont jamais arrivés, les provisions non plus, et grâce à Dieu, une
Weitere Kostenlose Bücher