Frontenac_T1
gagnait pourtant. Les neuf navires de ravitaillement en provenance de France pouvaient tomber à tout moment aux mains des Anglais. Aussi avait-il dépêché deux canots par le canal de lâîle dâOrléans pour aller au-devant de ces bâtiments et les avertir de mouiller dans lâentrée du Saguenay, en attendant que les choses se calment. Le pays ne pouvait se permettre de perdre un pareil secours sous peine de crever littéralement de faim jusquâau printemps suivant. La ville était déjà à court de vivres parce que les blés qui avaient poussé beaux et blonds avaient été gâchés par les pluies et la brume des dernières semaines. Les gens en étaient réduits à manger du blé nouveau encore humide et ne donnant pas autant que le sec. Combien de temps pourraient-ils tenir? Les munitions étaient également rationnées et un siège trop long les épuiserait rapidement. Louis se prit à espérer des gelées précoces et continues afin de décourager lâennemi et de le forcer à rebrousser chemin. Le temps sâavérait cependant une arme à deux tranchants et la chance, comme la grâce de Dieu, déciderait du sort des parties.
* * *
La vaste pièce grouillait de monde. Lâenvoyé de Phips, le major Thomas Savage, roulait des yeux étonnés et promenait un regard incrédule sur le gouverneur général, lâévêque, lâintendant et les nombreux officiers qui discouraient à haute voix. Ils étaient tous là  : Vaudreuil, Callières, Champigny, Ramezay, Maricourt, Longueuil, Sainte-Hélène, La Hontan, Bienville, Villebon, Valrennes, et quantité dâautres encore, tous rangés dâun seul bloc derrière leur général.
Rien de ce que découvrait le major anglais ne correspondait à ses attentes. La version des prisonniers français embarqués de force sur le vaisseau amiral était pourtant unanime : Québec nâavait ni troupes, ni canons, ni général. Fort de ces informations â qui étaient vraies trois jours plus tôt mais ne lâétaient déjà plus, en ce 16 octobre â, Phips avait escompté dormir le soir même à Québec. Il avait communiqué la nouvelle avec confiance à toute son escadre.
Savage comprit que lâopération allait sâavérer plus difficile que prévu. On lâavait conduit au gouverneur les yeux bandés, en le menant longuement par des rues achalandées et bruyantes où on le pressait de tous côtés, dans des chemins tortueux et pentus où il avait été forcé dâenjamber quantité dâobstacles quâil avait assimilés à des ouvrages militaires du genre chausse-trappes, chevaux de frise ou retranchements de quelque autre nature, ce qui lâavait fort alarmé. Et voilà que se dressait devant lui un gouverneur général altier, en pleine forme, rayonnant de détermination, et entouré dâun état-major nombreux dont les rires fusaient de toutes parts. à croire que ces gens-là étaient inconscients du péril qui les menaçait...
Avant de plonger la main dans son havresac pour en retirer la lettre de lâamiral, Savage eut le temps de promener un regard rapide sur les uniformes seyants couverts de boutons et de galons dorés, les perruques bouclées à la mode de Paris, les moustaches frisées, les élégantes cravates de soie, les chapeaux à larges plumeaux et les beaux fourreaux de cuir cerclés dâor. Lâassemblée était pour le moins impressionnante. «Des papistes qui se vautrent dans le luxe et la dépense », songea malgré lui le puritain, choqué par un tel étalage de frivolités. Il pensa aux vingt résolutions adoptées dans les formes pour le partage du riche butin quâon tirerait de Québec : la moitié irait aux soldats, aux marins et aux officiers, lâautre moitié à lâÃtat, de même que le matériel des arsenaux et des magasins de provisions. Les estropiés et les infirmes auraient droit à une part supplémentaire du butin. Les marchands bostonnais qui avaient financé lâexpédition avaient même prévu à qui appartiendraient les six superbes chandeliers dâargent de lâéglise des Jésuites...
â Sir William Phips , commença le major dâune
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