Frontenac_T1
remarque enflammée de son fougueux officier, Frontenac répliqua :
â Je ne vous ferai pas tant attendre, monsieur. Dites à votre général que je ne connais point le roi Guillaume, et que le prince dâOrange est un usurpateur qui a violé les droits les plus sacrés du sang en détrônant son beau-père. Que je ne sais en Angleterre dâautre roi que le roi Jacques. Que votre général nâa pas à se surprendre, puisque câest sous les ordres de Louis XIV, qui a pris sous son aile le roi dâAngleterre pour le replacer sur son trône, que jâai porté la guerre en vos contrées.
Puis, montrant de la main tous les officiers qui se pressaient autour de lui, il continua, en éclatant dâun large rire provocateur :
â Votre général croit-il, quand il mâoffrirait des conditions plus douces, que je sois dâhumeur à les accepter, que les braves gens qui mâentourent y consentiraient et me conseilleraient de me fier à un homme qui a renié la parole donnée à Port-Royal? à un rebelle qui manque à la fidélité quâil doit à son roi légitime, et oublie les bienfaits reçus pour suivre le parti dâun prince qui se présente comme le libérateur et le défenseur de la foi, alors quâil détruit les lois et les privilèges du royaume et renverse la religion catholique? La justice divine réclamée avec tant de zèle par votre général foudroiera sévèrement un jour cet usurpateur!
Doutant de pouvoir rendre un compte exact des paroles de Frontenac, Savage supplia lâinterprète de les mettre par écrit.
Quand Frontenac comprit la requête, il répliqua, dâune voix de stentor :
â Non, monsieur! Je nâai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusil! Quâil apprenne que ce nâest pas de la sorte quâon envoie sommer un homme comme moi. Quâil fasse du mieux quâil peut de son côté, comme je ferai du mien.
* * *
â Comment donc, major Savage? Si les choses se sont passées comme vous le dites, câest que nos prisonniers ou nos informateurs nous ont trompés, et que notre stratégie dâattaque conjointe aurait lamentablement échoué.
Lâamiral Phips tombait des nues. Les informations que son émissaire lui rapportait sur lâétat de Québec â du moins ce quâil en avait supputé, bien quâil eût les yeux bandés â et sur la réponse arrogante de Frontenac le sidéraient. Il fronçait ses épais sourcils et fouillait le major de ses petits yeux sceptiques. La situation sâavérait plutôt fâcheuse. Rien ne sâétait déroulé comme prévu. La stratégie élaborée avec lâÃtat de New York était pourtant imparable : le général Winthrop devait assiéger Montréal au moment où lâon savait que Frontenac et le gros de ses forces sây trouvaient, ce qui aurait laissé la voie libre à Phips pour soumettre Québec. Abandonnée et sans défense, la capitale se serait rendue sur-le-champ, tandis que maintenant...
Lâamiral était perplexe. Si la prise de Port-Royal et de lâAcadie sâétaient avérées une partie de plaisir, le siège de Québec se présentait plutôt mal. La chance semblait virer. La victoire serait déjà chose faite sâils avaient franchi plus vite la distance séparant Tadoussac de Québec. Mais ils avaient été ralentis par la difficile navigation dans le Saint-Laurent, les hauts-fonds et les terribles vents contraires. Avec pour résultat quâils se retrouvaient devant une citadelle fortifiée et gonflée dâeffectifs fanatisés, commandée par ce satané Frontenac, ce fauteur de terreur et de désolation sur toutes leurs frontières.
Le général durcit son regard.
«De combien dâhommes ce diable de Frontenac dispose-t-il? Cinq cents, mille, deux mille? Et leurs féroces Indiens vont-ils joindre leurs forces aux siennes? » sâinquiétait-il, anxieux.
Quelques membres de son conseil de guerre se pressaient autour de lui : le lieutenant général John Walley, les majors Quincy et Phillips. Des chaloupes faisaient déjà la navette pour amener à bord le vice-amiral Carter, le
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