Frontenac_T1
tout en hauteur et protégée par une barrière naturelle de roc indestructible que les boulets ne pouvaient que percuter, avant de rebondir au hasard de leur trajectoire.
Louis sâinquiétait pourtant, non pas tant des effets de la canonnade que de lâimminence dâun débarquement. Avec le peu de précision et la faible portée de leur artillerie, les bateaux anglais ne pouvaient causer que des dégâts mineurs, même si le siège se prolongeait, tandis que les troupes de fantassins étaient autrement à craindre. Les trois mille hommes de Phips allaient sûrement mettre pied à terre sous peu. Mais où, et quand? Lâamiral anglais profiterait certainement de la marée basse et tout se jouerait à lâaube. à moins que lâennemi ne tente un débarquement de nuit, ce qui était particulièrement risqué. Pour plus de sûreté, Louis décida de maintenir cette nuit-là des troupes tout le long de la rivière Saint-Charles, lâendroit le plus favorable à une telle opération.
Malgré le tragique de la situation, Louis fut touché par le caractère singulier du spectacle qui sâoffrait à lui. Le bassin, délimité par les battures de Beauport, lâîle dâOrléans et la Pointe à Lévy, était littéralement couvert de grands et petits voiliers qui faisaient tonner sans dérougir leurs canons, cependant que le ciel gris sombre se criblait peu à peu de centaines de traînées blanches en suspension dans lâair comme autant de petits cumulus. La canonnade sâaccompagnait dâun grondement sourd et continu qui faisait vibrer le château et la ville haute jusque dans leurs fondements. On aurait dit des feux de Bengale, un soir de fête à Versailles, sauf quâil sâagissait ici dâune réalité autrement sinistre...
Le gouverneur éprouva à nouveau une vive appréhension. Sâil fallait que ces maudits puritains aient raison dâeux... Sâils allaient bêtement perdre cette terre dâAmérique arrachée à la forêt à coups de hache et dâherminette, conquise à force de volonté, malgré lâisolement, lâhiver, le danger, et conservée par la voie des armes en dépit des forces coalisées des Iroquois et des Anglais... Il contracta les lèvres et secoua la tête dans un geste de dénégation. Lui, Louis de Buade, comte de Palluau et de Frontenac, ne le permettrait jamais!
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Québec, automne 1690
Frontenac avait adopté la grande salle à manger du château Saint-Louis comme quartier général. Câest là quâil réunissait son état-major et convoquait ses hommes. La pièce était encombrée de cartes et de documents militaires et le va-et-vient constant qui y régnait reflétait la gravité de la situation. Depuis le début du siège, Louis y passait presque tout son temps, quand il nâétait pas occupé à parcourir les remparts, à sillonner la ville à cheval pour évaluer lâavancée de lâennemi ou prendre le pouls de la population. Ce matin-là , plusieurs officiers sâétaient succédé pour rendre compte de la situation sur le terrain et câétait au tour du commandant des troupes, le chevalier de Vaudreuil, de sâexécuter.
â Ils ne bougent apparemment pas de leurs positions, monseigneur, bien que nous ayons enfoncé leurs flancs avec vigueur à plusieurs reprises. Leur résistance est plus forte que prévu.
Le jeune officier paraissait fébrile. Ses hommes et lui étaient aux aguets depuis que les Anglais avaient réussi à débarquer plusieurs centaines des leurs près de la rivière Saint-Charles, après de nombreux échecs causés par des marées peu favorables et de grands vents qui balayaient impitoyablement la côte. Trois jours durant, ils avaient essayé de prendre pied à terre sans y parvenir. Lâopération nâavait commencé à porter fruits quâau matin de ce quatrième jour. Le froid pénétrant nuisait tout particulièrement aux Anglais, épuisés par les nombreuses semaines de navigation, la faim et lâimpossibilité de se mettre à lâabri, sans compter la nécessité où ils se trouvaient de faire face aux nombreuses patrouilles qui les enveloppaient et les attaquaient brièvement,
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