Frontenac_T1
observait sans sourciller lâalignement des bateaux ennemis. Il était néanmoins tendu et anxieux. La flotte de Phips était imposante et lâissue de lâaffrontement était incertaine. Quand il fut assuré de lâavoir en plein dans son champ de mire, il ordonna la mise à feu. Tous les canons de la ville crachèrent leur boulet de vingt-quatre livres droit sur les navires anglais. Un tintamarre assourdissant répercuté par les falaises de roc envahit bientôt la ville entière. Les Bostonnais entrèrent à leur tour avec fureur dans la bataille. Les gros comme les petits vaisseaux portant une pièce dâartillerie pointèrent et tirèrent sur la haute-ville sans relâche, dans une canonnade effrénée.
à découvert, dans lâembrasure et tout en haut des remparts où se trouvait la principale batterie du fort Saint-Louis, servait un artilleur chevronné. Jacques de Sainte-Hélène, excellent canonnier, braqua la gueule de son canon sur le vaisseau amiral qui mouillait étonnamment près de la rive. Il visa le sommet du mât de misaine où flottait, ô merveille, le pavillon amiral anglais aux couleurs flamboyantes. Mais à pareille distance, lâobjectif était difficile à atteindre. Il le tint en joue et le visa... sans lâeffleurer. Sâavisant enfin que les boulets solides quâil enfournait dans la culasse étaient de portée trop longue, il choisit un boulet ramé, formé de deux boulets réunis par une chaîne, le glissa dans la bouche de lâarme, ajusta la mire et mit le feu à la mèche. La tête de mât du bateau amiral fut tranchée net, se cassa et tomba dâun grand coup sec.
â Le pavillon anglais! On a touché le pavillon de Phips!
Les soldats hurlaient de joie : «Vive le roi! Vive la France! Vive Sainte-Hélène! »
Dans la rade, tout en bas et juste devant la basse-ville, on vit en effet la splendide bannière portant la Croix de Saint-Georges tomber du vaisseau amiral et sâabîmer lentement dans le fleuve, où elle fut aussitôt emportée par la marée.
Une voix puissante sâéleva alors :
â Le drapeau, câest la Croix!
Voyant quâon ne comprenait pas le message, Frontenac hurla à nouveau et à pleins poumons, cette fois.
â Qui veut devenir chevalier? Le drapeau de Phips contre la Croix de Chevalier!
Une clameur sâéleva et roula jusquâà la ville basse où des dizaines de soldats répercutèrent de bouche à oreille le défi lancé par le gouverneur. Quelques téméraires répondirent aussitôt à lâappel en se jetant en désordre dans lâeau glacée. Chaque minute comptait. Au péril de leur vie et sous les imprécations dâune foule excitée qui scandait «à la nage! Au drapeau! », ils couvrirent bientôt la distance les séparant du précieux tissu flottant à la dérive. Sous une pluie nourrie de mitraille, deux nageurs finirent par sâemparer du trophée et le rapporter sur la grève. Dans une agitation qui frôlait le délire, les héros furent portés en triomphe au son du tambour jusquâà la porte de la cathédrale où le sieur de Portneuf, qui avait également arraché un pavillon aux Anglais à Port-Royal dâAcadie, le joignit à celui pris sur Phips.
Louis exultait. On avait fauché le pavillon de Phips à son nez et à sa barbe! Quelle humiliation pour lâorgueilleux puritain qui lâavait envoyé sommer de façon cavalière, comme sâil se fût agi dâun barbare. Quand le cortège en fête passa devant lui, il réitéra sa promesse et demanda quâon suspende les prises de guerre bien en vue, à lâintérieur de la cathédrale.
Pendant ce temps, une pluie erratique de boulets tombait sans discontinuer sur la ville. Peu dâentre eux touchaient leur cible. Les miliciens de la Nouvelle-Angleterre soutenaient leur réputation de mauvais tireurs. Louis poussa du pied une pièce tombée près de lui et constata quâelle était légère. Elle devait provenir dâun canon assez petit, dont la portée ne dépassait pas les quinze cents verges. Il eut un sourire de mépris. Ces puritains-là nâétaient même pas équipés pour bombarder une ville comme Québec, bâtie
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