Frontenac_T1
et de la petite rivière Saint-Pierre. La grande résidence seigneuriale â quâon appelait « le château à Callières » et dont une aile était encore en construction â sâélevait, solide et rassurante, flanquée de quatre tourelles et entourée dâune longue palissade de bois. Callières avait tenu à faire monter les murs à lâendroit où le fondateur de Montréal, Paul Chomedey de Maisonneuve, avait fait ériger sa première habitation, une quarantaine dâannées plus tôt.
Hector de Callières reçut le vieux comte avec chaleur et multiplia les ordres pour lui permettre de se restaurer. Louis se retira dans la pièce haute et claire qui lui était réservée, à lâétage. De sa fenêtre, on voyait courir la longue clôture de pieux entourant la ville dâoù émergeaient des clochers et quelques toits de maisons. Dans le ciel agité virevoltaient des farandoles de flocons.
Louis admira un long moment la blancheur en furie.
â Je préfère mille fois la neige à la pluie, murmura-t-il en se tournant vers le majordome, qui déposait sur la commode une bassine remplie dâeau chaude.
Une fine fragrance de bergamote sâen exhalait. Le domestique voulut lâaider à enlever ses vêtements, mais Louis le repoussa dâun geste ferme.
â Non, laissez. Bougre de Dieu, je ne suis pas encore impotent!
Son bras droit, raide et ankylosé, compliquait cependant lâopération et rendait chaque mouvement douloureux. Il sây prit à trois fois pour ôter sa chemise. De sa main valide, il se frotta énergiquement le visage, le cou et les avant-bras, puis se contenta de sâasperger rapidement le torse et le haut des cuisses. Aidé du domestique, dont il se résigna à accepter le secours, Louis enfila une chemise propre, des bas de soie et des hauts-de-chausse de serge gris souris, un long justaucorps bleu aux parements rouge et or et des bottes fraîchement cirées. Il retira sa perruque défraîchie et en mit prestement une autre. Il fit ensuite enserrer son bras malade dans une étroite gaine de cuir arrangée en bandoulière. Se saisissant dâun flacon posé sur la table, il demanda quâon lâen asperge. Lâodeur trop piquante le fit éternuer. Il congédia enfin son valet. Il se sentait ragaillardi.
«Foin de ces inquiétudes! Il fallait quelquâun pour donner le coup de barre et je lâai donné! »
Louis sâapprocha à nouveau de la large fenêtre et sây accouda. La neige tombait en bourrasques, à présent, sâagglutinait aux interstices, comblait les vides, masquait les formes et arrondissait les angles. Le décor, ocre et fauve quelques heures plus tôt, changeait de palette et se parait de toutes les nuances du blanc, passant de lâopalin à lâargenté, du nacré au lacté. Le doux linceul dâalbâtre reposait lâÅil, apaisait lââme. Louis se détendit. Il aimait la neige. Dâaussi loin quâil se souvienne, il avait accueilli les premières bordées avec une joie enfantine. Câétait dâailleurs ici, bien des années plus tôt, quâil avait connu sa première vraie tempête de neige. Il lâavait regardée déferler une partie de la nuit, incapable de sâarracher au spectacle et fasciné par la féerie qui sâétalait sous ses yeux. Il sâétira et respira profondément. La douleur à son bras droit sâétait atténuée, mais la fatigue gagnait tout son corps.
Les événements sâétaient bousculés avec une telle rapidité depuis son départ de France quâil en était encore abasourdi. Car rien ne sâétait déroulé comme prévu. Les bateaux avaient quitté La Rochelle avec trois semaines de retard, et les vents les avaient tellement ralentis quâils nâavaient atteint le CapBreton quâà la fin de septembre. Puis la nouvelle du saccage de Lachine les avait atterrés. Plus question désormais de tenter une quelconque sortie contre les Anglais, quand lâennemi iroquois assiégeait le pays.
On vint lui annoncer que la table était dressée. Louis sâarracha à ses ruminations et quitta sa chambre dâun pas décidé. Les voix et les rires des convives montaient
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