Frontenac_T1
aidée de sa voisine, quand les Indiens firent irruption dans la maison, tuèrent le nouveau-né et traînèrent les deux femmes en captivité. Elles furent remises à une famille abénaquise composée de deux guerriers, trois femmes et sept enfants, qui prit aussitôt la direction du nord. Un jeune garçon capturé à Worcester se joignit au groupe. Hannah, bien décidée à échapper à ses geôliers, forma rapidement un projet et sâassura de la complicité des deux autres. Une nuit où tout le monde dormait à poings fermés, les trois acolytes se levèrent en silence, prirent chacun une hache et lâabattirent sur leurs victimes avec une telle rapidité que personne nâeut le temps de réagir. Dix sauvages furent tués sur douze. Nos puritaines laissèrent sâéchapper une Indienne gravement blessée et un jeune enfant, puis attendirent lâaube. Quand les premiers rayons du soleil pointèrent, elles enlevèrent les chevelures de leurs victimes et quittèrent les lieux. Après de longs jours de marche, elles finirent par retrouver leur village et réapparurent triomphalement, brandissant fièrement au bout de piques les dix scalps ennemis. On raconte quâelles acquirent une telle notoriété quâon leur offrit cinquante livres par chevelure et quâentendant parler de leur exploit, le gouverneur du Maryland les gratifia dâun superbe présent.
â Charmante histoire... et qui donne à penser que nous ne nous méfions jamais assez. Telle femme soumise et effacée peut se transformer en un rien de temps en une dangereuse furie brandissant fièrement, comme Judith, la tête décollée dâHolopherne!
La remarque de La Hontan déclencha un chapelet de rires désabusés et de pointes cyniques sur la duplicité de la gent féminine.
â Toutes des sorcières, des putains ou des hommasses, que je vous dis... renchérit Mareuil, qui était de plus en plus éméché.
â Heureusement que nous sommes plus civilisés que nos voisins du Sud, enchaîna dâO. Ils ont une façon toute particulière de traiter les récalcitrantes. Croirez-vous que des femmes accusées de sorcellerie ont été récemment brûlées vives sur la place publique dans différents villages de la région de Boston?
â Des sorcières brûlées vives? Ces ânes bâtés de puritains nous auraient ramené lâInquisition en Amérique?
Louis nâen fut pas réellement surpris. Il savait les puritains de la Nouvelle-Angleterre capables de fanatisme. Lâincrédulité se lisait pourtant sur les visages qui lâentouraient. On avait peine à imaginer quâune telle chose fût encore possible. DâO continua :
â Il semblerait quâune vague de sorcellerie se soit emparée des esprits à Salem, une petite localité située près de Boston, et se soit étendue à une grande partie du comté dâEssex et de la province du Massachusetts. Il y a quelques semaines, on a longuement flagellé la fille et la nièce dâun ministre pour sâêtre livrées à des tours de magie. Elles ont prétendu avoir été ensorcelées par une sauvagesse. Il nâen a pas fallu davantage pour que lâon découvre partout des sorcières que lâon sâest empressé de traîner devant les tribunaux. Le gouverneur Bradstreet, ne trouvant rien qui justifiait lâemprisonnement, les a renvoyées chez elles. Mais la nomination de Guillaume Phips comme gouverneur général a fait basculer les événements dans le sens opposé.
Les hommes froncèrent les sourcils, intrigués. Ce nom-là leur était familier.
â Oui, il sâagit bel et bien du même William Phips, celui qui a tenté de prendre Québec. Phips a fourni un appui inconditionnel à son ami Cotton Mather, un influent ministre calviniste en lutte ouverte contre les sorciers, ce qui a rapidement envenimé les choses. Mather sâen est pris à une inoffensive vieille femme, une Irlandaise pauvre et délaissée soupçonnée dâêtre papiste, à ce quâil paraît, et dont le spectre aurait fustigé une femme avec des verges de fer, figurez-vous. Je le tiens de la bouche même de Saint-Castin, qui est toujours bien informé du moindre soubresaut qui
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