Frontenac_T1
vous allez vous réfugier dans la redoute avec La Bonté, Gachet, les femmes et les enfants. Si jamais jâétais prise, ne vous rendez sous aucun prétexte, même si on me coupait en pièces et quâon me brûlait sous vos yeux. Tant que vous continuerez à faire le feu, lâennemi ne pourra rien contre vous. Mes deux frères vont occuper deux bastions, moi le troisième, et nos deux vieux, le quatrième. » Et il en fut ainsi. Toute la nuit, en dépit du froid, du vent et de la neige qui tombait à plein ciel, on entendait dâincessants « Tout va bien? », de sorte que lâennemi se persuada que ce fort était bourré de soldats et quâil valait mieux sâen tenir éloigné. Le jour finit par se lever, ce qui rendit aux assiégés tout leur courage. Sauf à mademoiselle Marguerite... Non, messieurs! il ne sâagit pas de la même Marguerite, et bien quâelle porte le même prénom, elle nâa pas les mêmes mÅurs que notre racoleuse préférée...
Une remarque qui déclencha une cascade de ricanements complices.
â ... je disais donc que le courage manqua à cette Marguerite, parisienne de son état et épouse de La Fontaine, qui implorait son mari de les tirer de là , tellement elle tremblait de peur. Ce dernier finit par lui jeter : « Jamais je nâabandonnerai ce fort tant que mademoiselle Madelon y sera. Je sais quâelle préférerait mourir plutôt que de le céder à lâennemi, et je pense comme elle que si nous perdons un fort, les Iroquois croiront pouvoir nous en enlever dâautres et seront mille fois plus arrogants. »
â Ha! Voilà qui est bien parlé!
Des exclamations de soulagement ponctuèrent ces propos : enfin un mâle digne de ce nom! Non seulement La Fontaine remettait sa femme à sa place, mais il sâavérait aussi courageux que cette Madeleine qui nâétait certainement quâune exception. Il était temps, car cette invraisemblable histoire de castrats conduits par une pucelle commençait à irriter lâauditoire.
â Et alors, comment se termina cette incroyable saga?
Le chevalier dâO trépignait de connaître la fin.
â Ils furent en état dâalarme pendant sept jours et ne furent relevés quâau matin du huitième par La Monnerie et son détachement.
â Ha ça, câest une histoire pour le moins surprenante, risqua Maupon, qui ne voulait pas accuser La Hontan dâêtre un menteur, mais se demandait sâil nâavait pas un peu maquillé la vérité.
Car le beau baron avait la réputation de ne reculer devant aucune contrevérité pour enjoliver son propos. Les officiers étaient aussi sceptiques que lorsquâon leur avait narré lâaventure pour la première fois. Le récit leur paraissait trop beau pour être vrai, et le courage viril de cette Jeanne dâArc de quatorze ans était dérangeant.
â Mais il y a dâautres exemples de courage féminin, et je vais vous raconter une équipée qui a tourné au désavantage de nos alliés abénaquis, cette fois, rétorqua le chevalier dâO.
Toutes les têtes se tournèrent vers lui.
â Si la chose vous intéresse, bien sûr.
â Allez, dâO, ne te fais pas prier. Tu vois bien que nous sommes tout oreilles!
Mareuil lâcha un juron, puis se resservit une pleine rasade de rhum. Louis en prit note et fit signe à Duchouquet de rapporter le dernier pichet à la cuisine. Ses hommes commençaient à être passablement ivres et il ne tenait pas à avoir des bagarres sur les bras.
â Figurez-vous que cela sâest passé après la prise de Pemaquid par les Abénaquis, près du village de Haverhill, dans une famille de puritains dont jâai oublié le nom. Ce sont les sauvages eux-mêmes qui mâont raconté cela. Lâhomme travaillait dans un champ avec ses enfants lorsque des coups de feu retentirent aux abords de sa maison. En sây précipitant, il réalisa que des dizaines dâAbénaquis encerclaient sa demeure et quâil était trop tard pour sauver sa femme. Il retraita prudemment et conduisit ses enfants en sûreté dans une maison palissadée des environs. Son épouse, appelons-la Hannah pour les besoins du récit, venait dâaccoucher,
Weitere Kostenlose Bücher