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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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débat animé qui s’était engagé entre La Hontan et lui suscitait parmi les convives un immense intérêt, de par le clivage frappant qu’il faisait ressortir entre les parties. Tous étaient suspendus aux lèvres du sieur de Valrennes, qui suait sang et eau pour traduire et rendre toute la verdeur et le cinglant de l’argumentation. Ces joutes oratoires amusaient le vieux sachem , particulièrement en verve ce soir-là. Son visage mataché, ridé comme une pomme desséchée et percé d’yeux vifs, déroutants de malice et d’intelligence, luisait sous l’éclat des candélabres.
    â€” Ha, mon frère, continua-t-il, tu vois bien que j’ai raison. Oh! le bel homme, ce Français, avec ses belles lois! Si ce sont choses justes et raisonnables, comment se fait-il alors que vous ne les suiviez jamais? Tu me dis que pour qu’elles soient suivies, il faut châtier les méchants et récompenser les bons. Quelle sorte de créatures êtes-vous donc, qui faites le bien par rétribution et n’évitez le mal que par crainte des châtiments? J’appelle un homme celui qui a un penchant naturel à faire le bien et qui est malheureux de faire le mal. Pourquoi, nous autres Hurons, n’avons-nous point de juges? Parce que nous n’avons ni procès ni condamnés, et que nous apaisons plutôt nos querelles par le dialogue et la réparation. Mais surtout, parce que nous ne voulons ni recevoir ni connaître l’argent, ce serpent des Français! Et cet argent maudit, ce démon des démons, d’où vient-il donc que certains en aient autant et d’autres si peu? Vouloir vivre ainsi et conserver son âme, c’est comme se jeter au fond du lac dans l’espoir d’y trouver du feu. Cet argent est le ferment du mensonge, de la trahison, bref, de tous les maux qui rongent votre beau monde.
    Malgré la justesse de tels propos et la portée séditieuse d’une pareille charge, elle s’atténuait du fait qu’elle provenait de la bouche d’un sauvage. On en riait plus qu’on ne s’en offusquait. Et Kondiaronk, que les Français surnommaient « le Rat », était précédé d’une réputation si sulfureuse et paraissait si changeant qu’on ne le prenait pas toujours au sérieux.
    La Hontan était néanmoins sensible aux remarques du vieil homme et prenait un vif plaisir à le voir relever les travers des sociétés civilisées. Il répliqua donc avec une hauteur feinte, en dissimulant sa connivence sous un air faussement dédaigneux.
    â€” Vraiment, mon ami, tu fais là de belles distinctions. Pour ce qui est des lois, heureusement que tout le monde ne les observe pas, car autrement, ces juges que tu as vus à Québec et à la Nouvelle-York mourraient de faim. Mais comme le bien de la société consiste dans l’observance de ces lois, il faut châtier les méchants et récompenser les bons, sans quoi tout le monde s’égorgerait, se pillerait, se diffamerait, et nous serions les gens les plus malheureux du monde.
    â€” Ha! railla Kondiaronk dans un large sourire vainqueur. Mais parlons-en, de ces lois dont on nous vante sans cesse les merveilles. N’y a-t-il pas plus de cinquante ans que les gouverneurs du Canada prétendent que nous tombons sous leur juridiction, lors même que nous ne dépendons que du Grand Esprit? Nous sommes nés libres et frères et aussi maîtres de nos vies les uns que les autres, alors que vous êtes tous les esclaves d’un seul homme. Car sur quel droit et quelle autorité fondez-vous vos prétentions? Nous sommes-nous jamais rendus à votre grand capitaine? Avons-nous été en France vous chercher? Ou n’est-ce pas plutôt vous autres qui êtes venus ici nous trouver? Qui vous a donné tous les pays que vous occupez? De quel droit pouvez-vous prétendre les posséder? Ces terres nous appartiennent depuis toujours!
    Kondiaronk s’échauffait mais ne perdait pas le fil de sa pensée, car il revint aussitôt à la charge.
    â€” Et tu blâmes notre manière de vivre. Les Français nous prennent pour des bêtes et les Jésuites nous traitent d’impies, de fous, d’ignorants et de vagabonds. Écoute-moi bien, mon frère, je te parle sans passion : plus je réfléchis à vos vies et moins

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