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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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Callières, amusé.
    â€” De fait. Sitôt que le château Saint-Louis sera remis en état, et... à condition que les Anglais ne le rasent pas complètement, je m’engage à diriger moi-même les acteurs. Il est temps de donner au théâtre et à nos modernes la place qui leur revient dans ce pays. Et de permettre à mes officiers de se mettre quelque chose de plus relevé sous la dent que les dés, les masques, les jeux d’ombres et de cartes.
    â€” Préparez-vous à essuyer les foudres de Saint-Vallier. Il perd tout jugement et tout sens de la mesure dès qu’il est question de théâtre.
    â€” Nous ferons avec, que voulez-vous? Il vient justement de dénoncer dans son dernier mandement les spectacles et comédies impures ou injurieuses au prochain, pour employer sa triste formulation, et qui ne tendraient, selon lui, qu’à inspirer des pensées contraires à la religion et aux bonnes mœurs. Bien sûr, il vise Molière, même s’il considère Corneille et Racine à peine plus fréquentables et d’une probité non moins douteuse. Il raconte en chaire que les œuvres de notre génie national de la comédie sont criminelles et va jusqu’à faire défense à quiconque de même les lire, sous peine de commettre un péché mortel. L’affaire est bonne.
    â€” Ne craint-il pas Le Tartuffe davantage que toute autre comédie?
    â€” C’est, hélas! là où le bât blesse. Une pièce qui se joue pourtant depuis des lustres à Paris et Versailles sans pour autant susciter de tempêtes ni de débordements irrationnels. L’évêque craint comme la peste la seule mention de cette œuvre, de quoi me tenter de la mettre sur la liste de mes prochaines soirées de théâtre. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que je relève le défi.
    Callières prit un air incrédule.
    â€” Ne me dites pas que vous oseriez monter Le Tartuffe ?
    â€” Je ne sais pas encore si je le ferai, mais je pourrais m’amuser à le laisser croire...
    â€” Vous êtes terriblement rusé, mon cher comte. Mais si jamais vous passez à l’acte, vous aurez sur le dos une guerre à outrance avec le clergé.
    â€” C’est à voir...
    â€” Paris et Versailles ne sont pas le Canada, répliqua le gouverneur de Montréal en poussant un soupir qui en disait long sur l’agacement qu’il éprouvait devant le zèle intempestif du clergé. Voyez les proportions qu’a prises récemment cette affaire du prie-Dieu. Aurions-nous vécu pareille absurdité en France?
    â€” Oh, je crains bien que oui, mon cher. Si vous aviez séjourné à la cour autant que moi, vous penseriez différemment. Sachez que ces questions d’étiquette ne sont pas à prendre à la légère. Elles définissent l’appartenance de chacun et distinguent clairement les positions sociales. J’ai vu à Versailles telle comtesse ignorante des us et coutumes déplacée trois fois, ravalée sans pitié devant tout le monde au dernier rang et condamnée à rester debout le long du mur parce qu’elle avait osé s’asseoir sur un tabouret réservé aux princesses du sang. Les règles de préséance sont minutieuses, tatillonnes, portent sur d’infimes détails à première vue risibles et dérisoires, mais qui obéissent à des impératifs politiques. Voyez comme Saint-Vallier s’est acharné à vous tenir tête et à vouloir à tout prix que vous quittiez votre prie-Dieu. Il tentait ainsi de marquer la prééminence de l’Église sur l’État. Vous avez bien fait de lui tenir tête et j’en aurais fait tout autant.
    L’affaire en avait écorché plusieurs. L’un des éléments déclencheurs avait sans doute été l’affection clairement marquée de Callières pour les Récollets. L’incident s’était déroulé dans leur église de Montréal, lors d’une cérémonie de prise d’habit de deux novices à laquelle Saint-Vallier et Callières avaient été conviés. Ce dernier s’était agenouillé tout naturellement sur le prie-Dieu situé au-devant de l’église, quand Saint-Vallier, assis derrière, l’avait aperçu. Il s’était levé aussitôt et

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