Frontenac_T1
sâétait précipité sur Callières en lui signifiant devant toute lâassistance quâil nâavait pas le droit de sây agenouiller, puisque câétait celui du comte de Frontenac.
â Cette place me revient à titre de représentant du gouverneur général. Je nâen bougerai pas, avait sèchement répliqué Callières.
â Vous ne pouvez pas vous y maintenir. Si vous ne laissez pas ce prie-Dieu, câest moi qui devrai quitter cette église, lui avait répliqué le prélat, rouge de colère et parfaitement outré.
â Vous êtes libre de faire comme bon vous semble, mon cher, lui avait-il rétorqué, avec son calme habituel.
En catastrophe et dâun pas précipité, Saint-Vallier sâétait alors replié vers la sacristie, sans plus dâégards pour la cérémonie. Il avait ensuite ordonné aux Récollets dâenlever lâexécrable prie-Dieu. Mais un officier de Callières avait surgi et lâavait remis en place. Le petit jeu avait dû reprendre trois ou quatre fois avant que lâévêque, hors de ses gonds, lève un interdit contre lâéglise des Récollets, la ferme et la prive du droit dây célébrer tout rite religieux. Il était même allé jusquâà édicter un mandement pastoral contre le supérieur de la communauté, lâaccusant de sâêtre fait lâentremetteur dâune intrigue amoureuse entre madame de La Naudière et le gouverneur de Montréal. Une accusation ridicule et sans fondement.
â Mais au fait, Callières, cette dame de La Naudière vous ferait sûrement une parfaite épouse. Elle est veuve et paraît bien disposée à votre égard. Pourquoi ne pas la courtiser?
â Vous et votre propension à jouer lâentremetteuse de village! Avec les résultats douteux que lâon sait... Jâespère au moins que vous touchez une prime au mariage? Mais laissons cela, je vous prie.
Louis ricanait dans sa moustache. Il sâamusait aux dépens de Callières quâil imaginait bien mal, en fait, avec cette dame de La Naudière, une vieille fille sans appas et du genre punaise de sacristie.
â Je vivrais, ma foi, bien maigrement, si je devais compter sur une prime au mariage. Mes hommes sont si endurcis au célibat que jâarrive à peine à en caser un de temps en temps. Ils semblent plus intéressés, pour le moment, à effeuiller la marguerite quâà la porter à la boutonnière. Lâinsécurité actuelle y est peut-être aussi pour quelque chose, je suppose. Mais trêve de plaisanteries, Callières, vous qui avez reçu de votre frère des nouvelles détaillées sur la guerre en Europe, auriez-vous quelque nouveauté à mâapprendre que je ne connaisse déjà ?
â Jâai quelques détails croustillants sur le siège de Steinkerkes, dont vous nâavez peut-être pas entendu parler. Ils datent de quelques mois, mais sont tout de même intéressants. Vous plairait-il dâen entendre le récit?
â Certes, mes informations sâarrêtent à celui de Namur.
â Namur fut un succès total. La ville ne tint pas plus de six jours, mais Vauban dut mettre un bon mois pour venir à bout...
â ... du vieux château, juché sur un piton rocheux. Ma femme me le marquait dans une de ses lettres.
â Vous ne savez peut-être pas que Louis XIV, qui sâest fort dépensé pendant le siège de Steinkerkes, a fait une telle crise de goutte quâil a dû se retirer à Versailles et confier la suite des opérations au maréchal de Luxembourg?
â Ah bon? Louis de Bourbon et le prince de Conti y étaient-ils aussi?
â Oui, comme lieutenants généraux. Vous savez quâà titre de petit-fils et petit-neveu du grand Condé, ils furent appelés par la voix publique au commandement des armées, mais que le roi ne permit pas quâils y fussent nommés?
â à cause de la trahison de Condé pendant la Fronde, assurément. Notre grand roi a le pardon bien petit. Remarquez que Condé sâen est mieux tiré que le regretté Nicolas Fouquet, que jâai connu et fréquenté autrefois dans les salons, figurez-vous. Il est dâailleurs décédé à peu près à cette époque-ci de lâannée,
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