Frontenac_T1
dépit quâavait éprouvé la marquise à la nouvelle de la nomination de Frontenac avait été assez éloquent. Elle avait écrit le jour même à sa fille : Ayez une vue du Canada comme dâun bien qui nâest plus à portée; monsieur de Frontenac en est le possesseur . En bonne mère, elle avait cependant ajouté, pour la consoler : Il eut dâailleurs été bien triste pour vous dâaller habiter un pays si lointain, avec des gens quâon serait fâché de connaître en celui-ci.
* * *
â Quel déferlement. Mais ma foi, câest le déluge!
La pluie avait repris, entrecoupée de neige fondue. Ce timide début de décembre traînait des relents dâarrière-saison. Louis détourna le regard de la large fenêtre perlée dâeau et se replongea dans son travail. Il attendait Jean Bochart de Champigny en début dâaprès-midi. Comme il disposait encore dâun certain temps, il en profita pour expédier les choses courantes. Il repoussa dâun geste impatient la lettre ouverte abandonnée sur sa table. Elle datait du 27 novembre et portait la signature de Callières.
â Encore un nouveau désastre, avait-il soupiré plus tôt en prenant connaissance de son contenu.
Décidément, sa seconde administration commençait sous de tristes auspices. Le gouverneur de Montréal lui apprenait que cent cinquante Iroquois avaient traversé le fleuve au sud de la ville et étaient parvenus à La Chesnaye, puis à lâîle Jésus. Ils avaient brûlé toutes les maisons jusquâau pied des forts et abattu une quarantaine dâhabitants. Lâattaque sâétait produite sous une neige déferlante, et les quelques miliciens et soldats lancés à la poursuite des assaillants avaient été forcés de rebrousser chemin.
«Nos unités spéciales de combat seront mieux équipées pour repousser de tels assauts », se consola-t-il, tout en reprenant la lettre dâun mouvement brusque. Il la tournait et la retournait entre ses doigts, le regard perdu. Il se souvenait dâavoir esquissé à Versailles quelques mois plus tôt, devant un groupe de militaires, sa conception de la guerre à la canadienne. Pour son plus grand malheur... On lâavait reçu avec un tollé de protestations scandalisées, on avait crié à lâhérésie et au sacrilège, et il avait dû battre prudemment en retraite. Il en ressentait encore la piqûre dâhumiliation. Il ébaucha pourtant un sourire malicieux.
â Lâavenir nous dira bien qui avait raison.
Il se leva et marcha à travers la pièce. De furieuses douleurs lui vrillaient les os de la colonne, un mal quâil imputait à lâair trop chargé dâhumidité et de miasmes. Quâil se languissait donc des froids secs et rigoureux de lâhiver, bien mieux faits pour sa complexion que ces poisseuses humeurs dâautomne! Sâavisant que les bûches mouraient lentement dans lââtre, il protesta, à lâintention de son valet de chambre :
â Duchouquet, que diable, vous voulez que jâattrape la crève? Bourrez-moi ce feu de troncs de chêne et dâérable. Il fait un froid de loup dans cette tanière.
Un homme bedonnant, au pas court et saccadé, fit bientôt irruption dans la pièce, les bras chargés de fagots et de rondins empilés jusquâaux yeux. Il sâempressa dâentasser le menu bois et les branchages au centre, puis plaça les parements en pyramide sur le dessus, de façon à permettre au feu de mieux prendre. Le soufflet, activé en hâte, produisit bientôt une flamme qui surgit et sâenhardit en mordant rageusement au combustible. Louis sâen approcha pour réchauffer son bras engourdi, quâil se mit à masser de sa main valide dâun mouvement lent et circulaire. Un geste quâil faisait sans sâen rendre compte des dizaines de fois par jour. Il se laissa traverser longtemps par la chaleur apaisante.
Il mettait peu dâespoir dans sa rencontre avec lâintendant. Champigny sâétait opposé avec trop de vivacité à sa tentative de récupération du fort Cataracoui pour quâil ne lui en tienne pas rigueur. Il nâavait dâailleurs jamais fait quâun avec Denonville, dont il avait appuyé
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