Frontenac_T1
rompus de choses et dâautres, puis le comte sâinforma fort obligeamment de madame de Champigny et de leur petite famille. Il sâintéressa aux détails de leur vie, à leurs amis, leurs divertissements, tout en commentant les réponses de lâintendant avec humour, dâun ton agréable et mondain. Frontenac savait indéniablement plaire. « On nâest pas impunément courtisan de carrière », se dit Champigny. Mais lâaisance tout aristocratique de Frontenac était une arme dont celui-ci jouait habilement et Champigny tomba sous le charme...
Puis Louis asséna sans transition à son hôte la triste nouvelle du double saccage de La Chesnaye et de lâîle Jésus. Jean Bochart en fut ébranlé. Il avait travaillé autant que Denonville pour organiser la défense de la région montréalaise et cette nouvelle défaite le dépitait.
â Lâheure est grave, commenta le gouverneur, car toute la région comprise entre Lachine et Trois-Rivières est susceptible de tomber sous la hache iroquoise. Nous maîtriserons mieux la situation, cependant, quand nos troupes spéciales entreront en action.
Champigny écoutait avec attention et observait le comte dâun Åil vif, auquel rien ne semblait échapper.
â Pour ce qui est de lâaspect défensif, nous avons continué dans le sens de ce qui a déjà été entrepris jusquâici : érection de nouvelles palissades autour de Montréal et des Trois-Rivières, construction de forts, de redoutes * et de réduits * équipés de canons partout où cela est possible, obligation pour les civils comme pour les militaires dây dormir, jusquâà nouvel ordre.
Lâintendant opinait légèrement de la tête devant une énumération de mesures qui relevaient du bon sens et que Denonville avait déjà commencé à mettre en place. Mais un élément soulevé par le comte le chicotait. Il le questionna aussitôt.
â Vous parlez, monseigneur, de « troupes spéciales ». Si vous permettez, de quoi sâagit-il?
â Nous allons frapper lâennemi comme il nous frappe. Je veux quâune quinzaine de patrouilles formées de miliciens de chez nous, dâIndiens alliés et de quelques officiers se mettent à sillonner les campagnes pour repousser lâassaillant. Les tactiques militaires développées par Hertel de La Fresnière et Pierre Le Moyne dâIberville vont nous servir à protéger nos populations et à rendre coup sur coup. Du moins, à court terme, car sur une plus longue période, jâai dâautres projets pour amener les Cinq Cantons à la paix.
Champigny sourcilla. Il était plutôt méfiant envers ce type dâinnovation.
â Et jâimagine que vous allez compter sur les miliciens canadiens pour former le gros de ces troupes? questionna-t-il.
â Bien évidemment, répondit le gouverneur, tout en se déplaçant vers sa table de travail contre laquelle il sâappuya, pour continuer dâune voix quâil voulut convaincante. Nous ne pouvons pas nous passer de nos miliciens. Ce sont les seuls capables de mener une guerre à lâindienne, qui exige des hommes connaissant bien le pays et habitués aux distances et aux rigueurs du climat.
Tout cela était vrai et Champigny ne le savait que trop. Il déplorait pourtant lâusage abusif que lâon faisait de ces derniers, arrachés à tout moment à leurs terres et envoyés au carnage à la moindre occasion.
â Nous sommes en train de saigner le pays de ses colons, répliqua lâintendant. Vous savez bien quâil faut dix-huit ans à un bon habitant pour défricher sa terre et fonder une famille. Alors quâun soldat français est une denrée moins précieuse quâon peut remplacer plus vite et à moindre coût.
Louis ne répondit pas à cet argument quâil connaissait bien, mais dont il ne pouvait pas tenir compte.
â Jusquâici, continua Champigny, nos Canadiens se sont toujours prêtés sans rechigner à toutes les missions quâon leur a confiées, mais jâai ouï dire que certains commençaient à se plaindre dâêtre victimes dâune injustice.
Louis se rembrunit.
â Si nous ne voulons pas être obligés de plier bagages et de rentrer en
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