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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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état d’ébriété : le père se livrant à tous les excès sur sa fille, tranchant le nez de sa femme, laissant ses fils se frapper à mort, la mère jetant son bébé dans les braises! Toutes ces horreurs dans le seul but de permettre à quelques individus sans scrupule de s’enrichir. Il faudrait bannir définitivement ce commerce immoral, lui martela encore une fois Saint-Vallier dès que Louis eut ouvert la bouche.
    Le ton de voix de Son Éminence avait monté d’un cran, pendant que ses joues creuses s’empourpraient. Il revenait toujours à cette question. C’était sa marotte, son idée fixe, sa préoccupation de tous les instants. Sous des dehors amènes, le nouvel évêque cachait un zèle si intempestif qu’il se faisait des ennemis partout où il passait. Aussi Louis s’était-il résolu à procéder avec prudence. Plus question désormais de se mettre le clergé à dos, sous peine de sévères remontrances de la cour, voire d’un rappel cinglant. Il garda donc bonne figure, se croisa lentement les mains devant lui et rétorqua finement, d’une voix onctueuse :
    â€” Vous l’avez dit vous-même, monseigneur, il ne s’agit que d’un petit nombre de fauteurs de troubles à cause desquels il serait injuste de punir l’ensemble d’une population. Le roi permet toujours ce trafic pour empêcher que le commerce des fourrures ne passe aux mains des Anglais, à la condition expresse que cela ne soit pas fait dans le but de saouler les Indiens pour les détrousser ou pour obtenir leurs fourrures à bas prix. Et nous veillons à cela, monsieur l’intendant et moi. Les récalcitrants qui se livrent à de tels excès sont châtiés sans pitié. Nous en avons justement fait mettre un aux fers la semaine dernière, et deux autres coureurs des bois auront bientôt à répondre de leurs actes. Ils risquent la potence. Vous devez savoir cependant que Sa Majesté ne tolérera pas que les ecclésiastiques continuent à troubler la conscience des gens de ce pays en leur refusant l’absolution ou en les menaçant d’excommunication parce qu’ils transportent de l’alcool dans les pays d’en haut. À l’intérieur des limites établies, cela est toujours légal, jusqu’à preuve du contraire. Je crois d’ailleurs que le roi vous a abondamment écrit à ce sujet.
    L’évêque dodelinait de la tête, sans paraître autrement convaincu.
    â€” De fait, continua Louis, heureux de pouvoir mettre l’évêque dans son tort, j’en profite pour vous dire deux mots d’un curé qui fait actuellement grand bruit à Montréal. Par un excès de zèle que je m’explique mal, il mènerait une espèce d’inquisition pire que celle d’Espagne en menaçant d’excommunication tous ceux qui passent dans son champ de mire : les voyageurs et les marchands de fourrures dûment autorisés, les mères de famille qui ont le malheur de danser quelque innocent menuet à une fête entre voisins – chose si rare et, ma foi, plutôt encourageante par les malheureux temps de guerre que nous vivons –, les femmes et les filles qui osent arborer des vêtements plus légers les jours de fête ou qui ont la coquetterie de porter une fontange * , cette jolie coiffure qui nous vient de Paris et qui me semble une mode plutôt seyante. Et j’en passe!
    L’évêque frétilla sur son siège. Il s’éclaircit la gorge avant de lancer, d’une voix contenue :
    â€” Nous savons de qui vous voulez parler et nous avons averti notre frère de modérer un zèle qui, soit dit en passant, n’est animé que par un désir légitime de sauver des âmes de la perdition. Les mœurs, dans cette partie retirée du pays, sont plus relâchées, plus débridées et souvent plus scandaleuses qu’aux Trois-Rivières ou à Québec. Le jeu, la danse, l’adultère, l’impiété, l’alcoolisme ne sont que quelques maux que nos prêtres de Montréal tentent de réformer. Quant à l’immodestie des femmes qui se présentent devant les sacrements en grand décolleté ou avec des tissus transparents qui dévoilent des nudités d’épaules et de gorges qui n’ont

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