Frontenac_T1
cents étudiants, plus de cent quarante vont abandonner dans les deux premières années. Supposons quâon arrive à faire suffisamment de prêtres, les paroisses sont encore trop peu peuplées et les habitants trop pauvres pour subvenir aux besoins dâun curé à demeure. Et lâon voudrait des cures fixes!
Saint-Vallier leva les bras et le regard vers le ciel, lâair dâimplorer.
Louis savait bien que lâévêque sâopposait aux cures fixes parce quâil craignait, comme monseigneur Laval avant lui, de perdre le contrôle de ses effectifs. Le rêve du vieux prélat, repris par Saint-Vallier, était de créer une sorte de corporation de prêtres amovibles, révocables et destituables à son gré, prêtés aux différentes paroisses et relevant directement de son autorité. Alors quâavec les cures fixes, le curé serait rétribué par les fidèles, dépendrait moins de lâévêque et risquerait dâéchapper à sa gouverne. Câest pourquoi il objecta :
â Je loue les valeureux efforts consentis par le clergé pour augmenter le nombre de prêtres, mais je pense quâil va falloir faire davantage et vite, car Sa Majesté menace de se lasser de verser bon an mal an plus de huit mille livres pour lâentretien des curés, ce qui représente presque la moitié du budget de lâÃglise de ce pays. Des cures fixes doivent être établies dans chaque paroisse afin que, les services spirituels étant dispensés régulièrement, les dîmes puissent enfin être prélevées. Si mon concours peut être utile à faire avancer cette affaire, jâen serais fort heureux. Mais je crois que monsieur lâintendant vous en a déjà touché mot...
â Oui, en effet, fit Saint-Vallier, avec ce petit air matois qui semblait signifier quâil nâen ferait quâà sa tête.
Champigny avait fait plus que lui en « toucher mot », il lâavait littéralement submergé de chiffres et de menaces imminentes de suppressions de fonds sâil ne créait pas rapidement au moins douze cures fixes. Câétait dâailleurs à lâintendant plus quâau gouverneur que revenait la tâche de trouver une solution à cet épineux problème. Quant à ce que Louis en pensait réellement, câétait une tout autre histoire...
à lâinstar de certains, dont feu Jean-Baptiste Colbert, il nâétait pas loin de considérer cette cohorte de prêtres et dâecclésiastiques comme des parasites qui consommaient le quart des richesses de la nation sans rien produire en retour. Le célibat des prêtres, moines et nonnes, lui semblait un geste déloyal, voire subversif. Car non seulement ces privilégiés échappaient au travail productif nécessaire au bien commun, mais ils privaient en plus la nation dâune progéniture qui aurait pu être utile à son rayonnement.
â Mais à propos, monsieur le gouverneur général, lui lança Saint-Vallier avec un sourire énigmatique, nous nâavons pas encore eu lâhonneur de vous voir siéger au conseil souverain depuis votre retour. Votre absence risque dâen paralyser le fonctionnement et je...
Louis le coupa avec humeur en se levant de sa chaise.
â Vous savez bien que je réintégrerai le conseil quand les affaires du roi le commanderont, et surtout, dès quâon aura usé du protocole approprié pour mây recevoir.
Le ton était tranchant et Saint-Vallier demeura un moment sans voix. Louis en profita pour se retirer, après sâêtre incliné brièvement et avec raideur. Il évita cependant de baiser lâanneau pastoral que lui tendait machinalement lâévêque.
* * *
Champigny marchait de long en large dans les couloirs du palais de lâintendance et se tenait la tête à deux mains. Il avait besoin de bouger pour ne pas éclater sous la pression de la rage impuissante qui lâétouffait.
â Le diable emporte ce vieux faquin blanchi, cette merde enrubannée! venait-il de lâcher à un procureur général dâabord surpris, puis ravi par la verdeur du trait.
Joseph Ruette dâAuteuil nâavait pu retenir un franc rire de gorge qui avait roulé bruyamment dans lâétroit corridor et qui le vengeait un peu des
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