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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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d’oie.
    Le petit trait d’esprit suscita quelques rires plaisantins et fut suivi de pointes tout aussi acérées, décochées avec une joie maligne.
    â€” En tout cas, ses amis l’ont bien dépêtré de sa femme, renchérit monsieur de Léry, un vieil aristocrate mal placé en cour et jouissant de peu d’appuis. Une rancœur jalouse lui déformait le visage.
    Faisant mine de n’avoir rien entendu, Louis de Buade se racla la gorge tout en se dirigeant vers les jardins. Il avait l’élégance d’être discret devant moins chanceux que lui. Mais comme il s’éloignait, une raillerie lancée d’une voix sifflante le figea sur place.
    â€” Qui se soucie encore de cette poignée de trafiquants et de sauvages qui gémissent sans cesse sur leur sort et nous coûtent dix fois ce qu’ils rapportent?
    Quelques regards d’approbation et des signes de tête entendus ponctuèrent ces propos. Puis une autre boutade lancée avec arrogance par un jeune officier fit sortir le comte de ses gonds.
    â€” Ces Canadiens ne sont que des tire-au-flanc et des incapables qui n’ont jamais réussi à écraser une poignée de sauvages armés d’arcs et de flèches en dépit des nombreux bataillons expédiés à grands frais en Nouvelle-France pour leur porter secours!
    Cette fois, la saillie était trop injuste et appelait une riposte musclée.
    Louis de Buade fit volte-face et fonça au pas de charge sur le provocateur qui recula, désarçonné par l’air furibond du vieux gentilhomme.
    â€” Comment? éructa-t-il en s’approchant si près du visage du jeune militaire qu’il le fit loucher. Ce blanc-bec à dentelles à peine sorti de ses langes, ce petit soldat d’académie, empanaché et tout juste bon à la parade, prétend nous venir faire la leçon? Sachez bien, petit sire, qu’il n’existe pas de combattant plus aguerri et courageux que le Canadien! Et que cette poignée de sauvages armés d’arcs et de flèches dont vous parlez sont de féroces guerriers à l’intelligence stratégique terrifiante, qui se battent à un contre cinq, nous glissent entre les mains comme des anguilles et sont absolument impitoyables. Quant aux prétendus bataillons expédiés à grands frais que nous aurions reçus, ils n’ont jamais été que de petits contingents inaptes à faire la guerre à la canadienne et tout juste bons à se terrer peureusement derrière des palissades!
    Le vieux comte avait ponctué son discours d’un index accusateur qu’il pointait de manière indignée devant les yeux intimidés du jeune homme. Puis il pivota sur lui-même avec une étonnante agilité pour son âge et chercha des yeux le factieux qui avait lancé l’accusation précédente. Ne le trouvant pas, il s’adressa à la ronde d’un ton olympien :
    â€” Et pour répondre à cet autre pisse-vinaigre qui s’étonne que le roi s’occupe encore d’un pays qui coûte dix fois son rapport, je dirai ceci : le Canada sera un jour un immense empire qui s’étendra du golfe du Mexique à la baie d’Hudson, et la puissance qui en aura le contrôle en tirera gloire et richesses. Fasse le ciel que cette puissance soit encore la France!
    * * *
    Â«Â Il ne faudra pas tarder à remercier Seignelay, l’un des principaux artisans de mon renvoi au pays », se dit Frontenac, tout en jouant habilement de la canne pour se frayer un chemin à travers l’encombrant dédale de crinolines et d’habits de velours qui le cerclait. Il pensa à ce mot de « pays » qu’il venait d’utiliser et se prit d’attendrissement. C’était bien la première fois qu’il qualifiait ainsi le Canada. Mais à tout prendre, la Nouvelle-France n’était-elle pas sa seconde patrie?
    Sept années durant, à Saint-Germain, Chambord, Marly, Versailles, Louis de Buade s’était plié aux dures exigences du métier de courtisan. Il avait été de plusieurs parties fines, réjouissances et spectacles destinés à divertir la cour et auxquels le roi se gardait de plus en plus de paraître, sous prétexte de travailler avec ses ministres dans l’appartement de madame de Maintenon. Il s’était pressé comme

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