Frontenac_T1
la guerre comme de lâhérésie, une tactique tout juste bonne pour des « sauvages ». Quant aux officiers canadiens, ce ne sont pour eux que des roturiers ou des gens de bien fraîche noblesse.
Câétaient des préjugés que Louis combattait âprement. Il soutenait sur toutes les tribunes que les meilleures recrues étaient les miliciens canadiens, de loin supérieurs aux soldats français, et il entendait bien pousser les officiers nés dans la colonie et les recommander au roi chaque fois quâune promotion était en vue, de façon à former une force militaire canadienne typique et originale.
â Et cet ingénieur de parade quâon nous a envoyé pour palissader Québec et qui nâest quâun triste incompétent! Vauban a préféré garder ses meilleurs éléments et expédier en Nouvelle-France un apprenti. Encore du rebut pour le pays! tonna-t-il en frappant à nouveau la table dâun poing indigné.
Louis avait une propension à changer de sujet sans prévenir, ce qui laissait souvent Monseignat songeur, mais cet autre thème récurrent lui était familier. Le gouverneur nâavait jamais accepté ce quâil se plaisait à appeler sur un ton tragique «le coup bas de Vauban ». Ce dernier avait en effet suggéré Claude de Villeneuve pour fortifier les villes du pays. Or, sâil dessinait et traçait correctement les plans, il était incapable de les réaliser.
â De toute façon, le roi croit dur comme fer que la ville de Québec est imprenable, à cause de sa localisation. Et que sa protection ne nécessite que des fortifications légères pour parer à un coup de main. Une croyance que je partage de moins en moins...
Louis poussa un long soupir en fronçant les sourcils. Il devait tout prévoir, même lâimprévisible, et sâarranger pour se débrouiller avec le seul secours des ressources locales. Avec la différence que, cette fois-ci, la rumeur dâun siège en règle par la flotte anglaise risquait de se concrétiser, surtout depuis les derniers coups infligés aux Anglais. Aussi avait-il commandé au major Provost, en lâabsence de Villeneuve retourné en France pour quelque affaire pressante, de mener à terme les travaux de fortification.
â Entrez, fit Louis dâune voix tonitruante.
Il avait encore lâoreille assez fine pour percevoir le moindre grattement à sa porte.
Câétait justement le major de Québec, François Provost, escorté dâune jeune recrue. Lâhomme était attendu, mais il comprit rapidement au ton de voix que le gouverneur était dans un mauvais jour. Il avait à peine le pied dans la porte que Louis lâaccablait de questions concernant les démarches entreprises pour protéger Québec.
Heureusement pour lui, le major avait réponse à tout.
â Des bûcherons ont abattu des arbres pour faire de solides palissades afin de renforcer celles qui existent déjà . Les fortifications fermeront complètement la haute-ville, advenant une attaque, tout en fournissant les retranchements nécessaires à lâinstallation de lâartillerie. Jâai moi-même veillé à ce que tous les corvéables participent aux travaux, monseigneur, et je puis vous dire que les habitants y sont venus sans rechigner, cette fois, convaincus quâil y allait de leur vie. La ville sera entièrement clôturée de pieux et de petites redoutes de pierre, de proche en proche, dans moins de deux semaines.
Provost vit que Frontenac paraissait satisfait, puisquâil secouait la tête de façon répétée en signe dâassentiment.
â Les bourgades en amont et en aval de Québec sont-elles protégées?
â Toutes les précautions ont été prises pour assurer la sécurité de ces peuplements. Tous les forts ont été complétés ou consolidés, et jây ai fait stationner des détachements de réguliers qui doivent accompagner les habitants quand ils vont aux champs, surtout dans les régions les plus isolées.
â Fort bien, monsieur Provost. Quand la conjoncture sera favorable et que la ville sera en état de se défendre, je me mettrai en route pour Montréal. Je compte évidemment sur vous pour me remplacer pendant ce séjour. En attendant, veuillez terminer
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