Frontenac_T1
stratégie et fit apporter des barils dâeau-de-vie quâon roula parmi les assistants. Ensuite il fit tirer de ses provisions quelques uniformes militaires que Frontenac réservait aux plus grands chefs et les leur distribua. Il accompagna ses dons des compliments et flatteries dâusage. Pour clôturer le tout, on apporta des chaudières de chiens bouillis et de caribous, et la fête commença.
Nicolas Perrot y participa et prit en aparté dâautres chefs quâil régala de nouveaux capots chamarrés de dentelles et de galons dorés. Il reprit en privé les arguments auxquels il les savait sensibles, tout en insistant sur le désir quâavait Onontio de revoir ses enfants. Après dâautres rencontres où des présents et de lâalcool furent largement distribués, de même que des armes et de la poudre, Perrot réussit à les convaincre de renoncer à leurs tractations avec les Cinq Cantons et dâenvoyer des émissaires à Montréal. Ils pourraient ainsi renouveler leur alliance avec la Nouvelle-France et renouer contact avec leur ancien Père.
Lâambassade projetée vers les cantons iroquois paraissait suspendue, mais pour combien de temps, se demandait Nicolas Perrot. La fidélité des alliés indiens dépendrait désormais du succès des armes françaises. De nouvelles victoires ne pourraient que les raffermir dans leur position, alors que le vent de la moindre défaite les soufflerait inexorablement du côté anglais, tel un ramassis de feuilles ballotées entre des vents contraires.
11
Québec, été 1690
â Me ferez-vous lâhonneur de cette danse, mademoiselle? fit Louis en sâinclinant galamment devant une jeune fille dont le beau visage rosit de plaisir.
Cette dernière lui sourit et accepta avec grâce le bras quâon lui tendait.
Geneviève Damour, la fille aînée de François Damour, membre du conseil souverain et riche armateur, était une jouvencelle dâà peine dix-huit ans dâune beauté à faire damner un saint. Longue et brune, les cheveux relevés à la Fontanges et vêtue dâune robe de brocart pourpre lui dénudant avantageusement les épaules et la gorge, elle virevoltait comme un papillon butineur devant des partenaires masculins qui rêvaient de lâépingler.
Louis enlaça sa cavalière avec fougue et lâentraîna dans un quadrille, cet espèce de ballet à la mode de Paris dont on sâétait entiché à Québec, et qui était constitué dâune longue succession de contredanses. Il guida savamment sa partenaire dans les méandres des premières figures puis, la tenant de la main gauche, lâengagea prestement dans la pastourelle en la faisant délicatement pivoter sur elle-même. La sûreté du geste, lâélégance et la précision du rond de jambe étaient le fait dâun danseur accompli. Puis, il enchaîna par une finale éblouissante en se lançant dans une farandole effrénée où chaque couple tournait sur lui-même à en perdre le souffle.
Après un repas honnête composé de viandes sauvages, de fromages et de vins de Bordeaux, trois jeunes militaires avaient enfin sorti leur instrument. Un quatrième musicien avait mêlé aux échappées lyriques des violons la sonorité plus aiguë de sa flûte traversière et la fête avait commencé, pour le plus grand bonheur dâune assistance composée pour moitié de jeunes personnes trépignant dâimpatience à lâidée de pouvoir danser. Les trémolos des violons sâéchappaient par les fenêtres entrouvertes, égayant la haute-ville de vibrations mélodieuses. Câétait la fête au château Saint-Louis en cette soirée de juin, et comme le pays avait enfin été ravitaillé, Louis avait pu se permettre de recevoir sur un pied digne de ses nouvelles fonctions.
Une fête à laquelle monseigneur de Saint-Vallier avait dâabord participé en mangeant et buvant autant que permis, mais quâil avait écourtée en catastrophe, le visage défait et le reproche aux lèvres, dès quâil avait compris quâon se disposait à danser. Il avait préféré sâéclipser discrètement pour ne pas être associé à une licence quâil condamnait fermement et sur
Weitere Kostenlose Bücher