Funestes présages
problèmes peuvent se résoudre dans les saints noeuds du mariage. Sir Reginald faisait partie de ces derniers. Mais, ajouta-t-il en levant un doigt osseux, je pourrais me tromper. Nombreux sont ceux qui doivent affronter cet ennui, souvent temporaire. Les seules personnes qui peuvent connaître la vérité dans ce cas sont Sir Reginald et Lady Margaret. Avez-vous rencontré cette redoutable femme ?
Corbett acquiesça.
— Cela me surprendrait qu’elle ait abordé une question aussi intime.
— Qui était le moine qui a accusé l’abbé de pratiques contre nature ? l’interrompit Ranulf.
— Je ne ferai pas une allusion, ne dirai pas un mot, Rouquin. Jouez-vous au jeu de hasard ? demanda frère Luke tout à coup.
Il n’attendit pas la réponse et ajouta :
— Si je devais parier, je dirais qu’une accusation aussi malveillante avait un lien étroit avec ce maudit tertre funéraire et, que Dieu me pardonne, les ambitions de certains de mes frères.
— Que vous demandait Harcourt quand il venait vous voir ?
— Des poudres, des potions, un élixir miraculeux. En fait, je ne pouvais pas grand-chose pour lui.
— Sir Stephen Daubigny était-il au courant ?
Frère Luke fit un geste de dénégation.
— C’est la raison pour laquelle Harcourt venait ici. Il prétendait faire davantage confiance à un moine qu’à un mire de la région.
— Est-il revenu vous voir après son mariage avec Lady Margaret ?
Le vieillard haussa les épaules et joua avec son chapelet.
— Vous étiez bien là quand Sir Stephen est entré au monastère, n’est-ce pas ?
— Oh, oui !
— Étiez-vous son confesseur à cette époque ?
Frère Luke fit non de la tête.
— Il m’a évité pendant des années. Je reconnais que le changement qui s’est opéré en lui et sa rapide promotion m’ont étonné, mais il s’est vite révélé parfait bénédictin.
Il s’interrompit.
— Je ne saurais vous en dire plus, Sir Hugh.
Il ferma les yeux et commença à dévider son chapelet. Il s’était affaissé, comme si la conversation l’avait épuisé. Corbett et Ranulf le remercièrent, se levèrent et remirent le banc en place.
— Je ne peux rompre mes voeux.
Corbett se retourna. Frère Luke était toujours assis, les yeux clos.
— Ces horribles meurtres, Sir Hugh... pourquoi faut-il qu’ils commencent maintenant ?
— Je l’ignore : c’est ce que je tente de découvrir.
— Fouillez le passé, murmura le vieux moine. Nous semons nos péchés comme des graines. Ils prennent racine et sommeillent, mais, le moment venu, ils poussent comme mauvaises herbes grasses et nourries de méchanceté.
Il rouvrit les yeux.
— Portez-vous bien, Messire le clerc. Que Dieu vous garde !
Frère Luke esquissa une bénédiction tandis que Corbett ouvrait la porte.
Le prieur Cuthbert était agenouillé sur les dalles froides de sa cellule. Il avait fermé et barré l’huis. Le feu, dans l’âtre, n’était plus que cendres grises et les braseros étaient éteints. Cuthbert avait ôté bure et chemise. Le dur sol pavé blessait ses genoux cagneux et il lui était difficile de laisser ses orteils sur la pierre glacée. Au-dessus de sa tête, un grand crucifix, où se tordait un Christ en agonie, le regardait. Le prieur s’empara de la petite discipline, ferma les yeux, serra les dents et commença à se flageller les épaules. Même là, dans les ténèbres de sa chambre, il semblait que les démons attendaient. Il frappa, frappa encore et, dans son esprit, des griffons rugissants bondissaient hors des flammes pendant qu’un tunnel noir s’ouvrait pour vomir des diables ruisselant de sang, les cheveux entortillés comme des serpents. Il rouvrit les yeux et s’obligea à contempler le crucifix. Il avait péché, et fort gravement.
— Mea culpa ! Mea culpa ! C’est ma faute ! C’est ma faute ! gémit-il en battant sa coulpe.
Il lui faudrait expier, se repentir de son ambition et de son avidité. Si seulement il pouvait revenir en arrière ! Il laissa tomber le fouet. Il avait l’impression que le péché l’étouffait, l’enveloppait. Autour de lui prospéraient ses affreuses conséquences : le cadavre efflanqué du chat pendu au jubé ; les malemorts de ses frères ; les flèches enflammées perçant l’air nocturne ; les ragots et les commérages. Le chapitre ne prenait plus de décisions : ses membres ressemblaient plutôt à des lapins apeurés et se terraient dans leurs
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