Funestes présages

haut rang.
    — Vous avez donc découvert votre saint Sigbert ?
    — Non. D’après le tissu et les ornements nous pouvons dire que la bière contenait un cadavre de femme.
    Cuthbert lança un regard penaud à Corbett, qui, la tête rejetée en arrière, éclata d’un rire sonore.
    — En êtes-vous certain ? questionna-t-il.
    — Autant que d’être céans. Le squelette était entier et intact. C’est un miracle ! Il y a même des touffes de cheveux blonds sur le crâne. Il porte la marque d’un coup d’épée ici, sous le cou, ajouta-t-il en effleurant son épaule gauche.
    — Et de qui s’agit-il, à votre avis ? demanda Corbett en s’essuyant les yeux d’un revers de main.
    — Nous avons consulté les manuscrits. Il se peut que ce soit la fille aînée de Sigbert, Bertholda, une princesse franque. Elle aussi a régné sur le petit royaume qui existait ici jadis. Les païens l’ont peut-être martyrisée à cause de sa foi.
    Corbett se carra dans sa chaire et examina ce prieur plein de ressource.
    — Vous avez donc votre relique ?
    — En effet, Sir Hugh, nous avons notre relique. Elle est à l’abri au dépositoire.
    Le clerc frappa dans ses mains.
    — Du moins jusqu’à ce que cette affaire soit close. Ranulf, cria-t-il à son écuyer qui montait la garde à la porte, fais venir les autres ! Messire le prieur, nous avons du travail !
    Les membres du concilium
    — Dunstan, Aelfric et Richard  -, l’archidiacre Wallasby et enfin Perditus entrèrent un par un dans la pièce et s’assirent sur les tabourets que Ranulf avait préparés. Chanson se plaça sur le seuil et le clerc de la Cire verte s’installa près de son maître. Ce dernier sortit son mandat et, mettant en évidence le sceau royal, le déposa sur la table. Pour rappeler qu’il était juge du roi, il posa son épée à côté.
    — Je suis l’émissaire du souverain dans cette contrée, commença Corbett. Et, de fait, ceci est un tribunal chargé des affaires de la Couronne. Je veux d’abord évoquer le trépas de l’abbé Stephen et les horribles meurtres qui ont été perpétrés en cette abbaye.
    Il se leva et embrassa l’assemblée du regard.
    — Commençons par la mort de l’abbé Stephen. Moralement parlant, vous êtes tous coupables.
    Il fit un geste tranchant de la main pour couper court aux protestations.
    — Sous bien des aspects, reprit-il, l’abbé Stephen était un homme singulier. Un prêtre cherchant une raison à sa foi et à sa vocation. Je ne vous dirai pas, du moins pas maintenant, pourquoi Stephen Daubigny s’est fait moine, mais il avait ses secrets, y compris celui concernant la malemort de son vieil ami Sir Reginald Harcourt dont nous avons retrouvé les pitoyables restes dans le tertre funéraire.
    Corbett s’interrompit.
    — Daubigny était responsable de sa mort.
    — Non ! C’est impossible ! s’indigna Aelfric.
    — C’est vrai et je peux le prouver. Il avait tué Harcourt, sans en avoir l’intention, lors d’une violente querelle au sujet d’une femme dont ils étaient tous deux épris. Daubigny a caché son péché sous une explication fallacieuse, mais a expié par une vie de réparation. Pourtant il ne croyait ni en Dieu, ni en ses anges, ni au pouvoir de l’Église. Il ne cessait de vouloir des preuves. Il est devenu un érudit avide de savoir, un théologien ayant étudié la démonologie. En pourchassant Satan, l’abbé Stephen espérait trouver Dieu. Je suppose que sa vie en tant qu’abbé lui a apporté un peu de paix jusqu’à ce que cet ambitieux chapitre se mette à le harceler à propos du tumulus.
    — Donc il ne protégeait point des restes vénérables, mais son péché secret ? l’interrompit le prieur.
    — Bien sûr. Et le conseil a ourdi sa guerre secrète contre son abbé, reprit le magistrat en tentant de détourner les yeux de celui qu’il savait être l’assassin.
    — En aucun cas ! s’exclama frère Dunstan.
    Corbett frappa du poing sur la table.
    — Si ! Pas ouvertement ! La règle de saint Benoît est fort claire sur l’obéissance due par la communauté à son abbé. Vous avez tous agi à votre manière jusqu’à ce que l’archidiacre Wallasby pénètre dans cette enceinte sacrée pour tisser sa propre toile. Il voulait humilier l’abbé Stephen, prouver qu’il n’était pas exorciste. Et quelques-uns d’entre vous l’ont aidé, n’est-ce pas ? Mais pendant qu’il complotait, la trahison, lovée comme une