Funestes présages

magistrat.
    — Comme vous, je suis un visiteur en ces augustes lieux. J’ai ouï parler de votre présence et me suis dit que je devrais vous rencontrer.
    Corbett lui serra la main et on fit les présentations.
    — Je suis archidiacre de St Paul, précisa Wallasby. L’archevêque de Cantorbéry et l’ordre des dominicains m’ont dépêché céans.
    — Dans quel but ?
    — Oh, pour confondre le diable et tous ses démons !
    Wallasby rejeta la tête en arrière et partit d’un gros rire.
    — Un déplacement inutile, remarquez. Je suis fort choyé dans l’hôtellerie de l’autre côté de la cour, mais mon voyage a été infructueux. Et vous, Sir Hugh, vous devez être ici à cause du trépas mystérieux de l’abbé Stephen, n’est-ce pas ?
    — Du meurtre, corrigea Corbett. Je crois qu’on l’a assassiné. Mais qu’ont donc le diable et tous ses démons à voir avec l’abbaye de St Martin ? Je sais que l’abbé était un exorciste...
    — Et excellent, renchérit Wallasby. C’est la raison de ma présence. L’abbé Stephen a beaucoup écrit sur la possession démoniaque. Il pratiquait l’exorcisme dans le Lincolnshire et à Londres – des cas fort célèbres. Il était censé en accomplir un ici même. Un certain Taverner avait demandé son aide.
    — Et vous vouliez en être témoin ?
    — Non, Sir Hugh ; je suis venu apporter la preuve du contraire. Je suis d’accord avec la pensée des dominicains. Ce que moult gens pensent être de la possession relève, je crois, d’une quelconque maladie de l’esprit, d’un dérèglement des humeurs, de la démence, de la folie et, bien souvent, de la simple suggestion, voire de la franche duperie.
    Ranulf applaudit sans bruit.
    L’archidiacre lui sourit.
    — Ah ! je vois que quelqu’un ici est de mon avis !
    — Quand ce rituel devait-il avoir lieu ? s’enquit Corbett.
    — Demain.
    — Avez-vous rencontré ce Taverner ?
    — Je l’ai interrogé.
    — Et... ?
    Wallasby haussa les épaules, prit un morceau de pain sur le plateau et le mit dans sa bouche. Il mâcha avec lenteur.
    — C’est l’un des cas les plus étranges que j’aie pu voir. Je finis par croire que j’ai choisi la mauvaise occasion pour m’opposer à l’abbé Stephen.
    — Voulez-vous dire que cet homme est véritablement possédé ?
    — Peut-être...
    L’archidiacre s’interrompit en entendant des pas dans l’escalier. Frère Perditus faillit trébucher en entrant dans la chambre.
    — Le prieur Cuthbert et le concilium sont prêts, haleta-t-il.
    Sir Hugh prit ses bottes.
    — Alors nous ferions mieux de les rejoindre et, en chemin, de nous occuper des oeuvres du diable.
    Il sourit à Wallasby :
    — Peut-être nous ferez-vous la grâce de nous accompagner ?

 
    Chapitre 2
    Nam fortuna sua tempora lege regit .
    La fortune dirige notre destinée à sa guise.
    Tibulle
    Frère Gildas, architecte et tailleur de pierre de l’abbaye de St Martin-des-Marais, se flattait toujours d’être prêt à mourir. Bien qu’il fût âgé, sa vue était encore bonne. Il avait été soldat, puis avait exercé ses talents en contribuant à l’édification des grands châteaux forts d’Édouard au sud du pays de Galles. Il avait maintes fois affronté la mort, dans les brumeuses vallées désolées et les clairières des forêts, tout endroit où elle pouvait frapper vite par le biais d’une flèche, d’une lance, d’une massue, d’une hache ou d’une dague. Il était entré au monastère vingt ans auparavant afin de se préparer au trépas et les frères avaient sans tarder mis son talent à contribution. Ami intime du prieur Cuthbert, frère Gildas aimait esquisser des plans avec une plume et un morceau de parchemin, choisir des pierres et en sentir la texture, couper et mesurer, dessiner et bâtir en esprit avant le premier coup de pelle et la pose de la pierre angulaire.
    Satisfait de son existence, les cheveux gris et la mine sereine, frère Gildas appréciait la solitude. Il est vrai que la disparition de l’abbé Stephen l’avait fort chagriné et qu’il attendait avec impatience d’entonner les psaumes à la messe de requiem. Pourtant la vie devait continuer. Il était à présent occupé dans son atelier, à l’autre bout de l’abbaye. La table, près de lui, était encombrée de toutes sortes de pierres, de maillets, de ciseaux et de bouts de vélin. Frère Gildas fredonnait l’un de ses psaumes préférés :
    Du fond des