Funestes présages
ici, Sir Hugh. Ils mènent un combat incessant contre les rats dans nos granges. C’est une cruauté absurde.
— C’est vrai, acquiesça Corbett.
Il posa la main sur l’épaule de Cuthbert et l’entraîna. Le prieur semblait effrayé et inquiet.
— Croyez-moi, mon père, chuchota le magistrat. Le meurtre de l’abbé Stephen n’était pas le dernier, pas plus que celui de Gildas. Quelqu’un à l’esprit malade et à l’âme pervertie a déclaré la guerre à votre communauté. Alors, dites-moi, y a-t-il quelque chose que je devrais savoir ?
Le prieur humecta ses lèvres sèches et baissa les yeux.
— Rien, déclara-t-il. Rien du tout. Nous n’avons point fait de mal ; il n’y a point de péchés céans.
— Dans ce cas j’aimerais visiter l’atelier de Gildas.
Corbett rejoignit ses serviteurs devant l’église.
— Je me suis occupé du chat, annonça Ranulf. Pauvre bête ! Être capturée, avoir la gorge tranchée et être pendue de cette façon !
Corbett lui tapota l’épaule.
— Merci. Il y a bien longtemps, j’ai vu un matou écrasé par un chariot : je n’ai jamais oublié cette image !
— Et le message ? s’enquit Ranulf.
Son maître lui en fit part. Un frère lai muni d’une torche vint les chercher pour les guider à travers l’abbaye. L’atelier de l’architecte se trouvait près du mur du fond. Ils y pénétrèrent. Des chandelles et des lampes à huile brûlaient. Corbett jeta un coup d’oeil à la table et aux établis, aux porte-outils, au tas de pierres taillées. Le plancher était couvert de poussière. Il le gratta du bout du pied et finit par découvrir une tache sombre semblable à une éclaboussure de vin.
— Voilà où est tombé Gildas, dit-il en s’accroupissant.
Il désigna le tas de pierres et le brasero.
— On l’a tué et marqué céans.
Il ressortit. De l’autre côté de l’atelier se trouvait un verger. Les branches nues des arbres se détachaient sur le ciel sombre.
— C’est un endroit assez isolé pour y cacher un corps, observa-t-il. Puis on a dû l’emporter par cette porte jusqu’à Bloody Meadow.
— Croyez-vous, interrogea Ranulf, que nous avons affaire à un ou à deux assassins ?
— Je l’ignore. Mais j’ai compris une chose : l’abbé Stephen et les principaux dignitaires de cette abbaye se querellaient au sujet de Bloody Meadow et de la construction de cette hôtellerie.
Il se dirigea vers la petite poterne creusée dans le mur, tira les verrous et sortit. Une étroite allée séparait le mur d’un boqueteau.
— Bloody Meadow, chuchota-t-il. Le tueur de Gildas a mis le corps sur le tumulus de propos délibéré. Mais pourquoi ? Et pourquoi l’abbé Stephen a-t-il soudain changé d’avis ? À en croire notre Gardien, l’abbé était plongé dans ses pensées et examinait toutes les possibilités. Il a laissé échapper qu’il était prêt à revoir sa décision. Alors pourquoi l’a-t-on occis ? Et que veulent dire toutes ces absurdités à propos de Mandeville ?
Il remonta le sentier. Près de lui, le mur d’enceinte était haut et abrupt. À gauche, l’herbe et les buissons remplacèrent les bois. Des volutes de brume s’élevaient. Corbett s’arrêta et vit des lueurs dansantes.
— Des feux follets, déclara-t-il. Quand j’étais enfant, ils me terrifiaient. Certains prétendaient que c’étaient des chandelles portées par les anges de la mort qui rôdaient en quête de leur moisson.
Sa voix avait une étrange résonance dans le calme des ténèbres.
— J’ai dû attendre d’être à Oxford pour qu’un maître m’explique que les marais et les marécages exhalaient une substance qui peut briller dans la nuit. Et même maintenant que je le sais, ils m’effraient encore.
Ranulf réprima un frisson et tapota le pommeau de sa dague. Il détestait la campagne, la jugeant plus dangereuse et menaçante que n’importe quelle venelle de Southwark. Corbett allait faire demi-tour quand il entendit résonner une trompe de chasse. Il s’immobilisa. Le son venait d’une certaine distance. Ranulf jura entre ses dents quand la corne retentit derechef. Deux, trois fois.
— Il est facile de se gausser du fantôme de Mandeville, observa-t-il. Mais ici, dans les ténèbres, avec la brume qui se lève...
— Je me demande ce que ça peut être, murmura le magistrat. Pourquoi cela se reproduit-il à présent ? Quel rapport y a-t-il avec ces morts ?
— Allons-nous
Weitere Kostenlose Bücher