Funestes présages
père abbé s’est arrêté pour vous parler.
— Je lui ai demandé pourquoi il avait l’air si troublé, continua l’ermite. « Les hôtelleries, m’a-t-il répondu tout à trac. Peut-être devrais-je permettre qu’on en construise une neuve ? » Il semblait préoccupé et a continué son chemin. C’est la vérité ! C’est la vérité !
Corbett lança un coup d’oeil à la dépouille sous son drap, puis tout autour de lui. Chanson montait la garde à la porte. Ranulf attendait, aux aguets, tendu comme un chat, les yeux fixés sur son maître. Les moines étaient pétrifiés, comme incapables de prendre en main la situation.
« Je pourrais vous questionner plus avant », pensa Corbett. Il revit en imagination les bâtiments dispersés de l’abbaye, le portail au cernel, les poternes, les champs et les vergers isolés hors les murs. Il était aisé à l’assassin de Gildas, à la faveur du soir tombant, de se déplacer en toute impunité en profitant du choc causé par le trépas et l’enterrement de l’abbé et par l’arrivée du magistrat.
— Je crois qu’il n’y a rien à faire de plus pour le moment, déclara-t-il. Il se fait tard.
Il était sur le point d’aller décrocher un lumignon de son support quand la cloche de l’abbaye se mit à sonner. Ce n’était pas le lent carillon harmonieux d’invitation à la prière, mais un signal plus aigu et plus rapide, semblable au tocsin.
— Par Dieu et tous Ses saints ! s’exclama le prieur. Que se passe-t-il encore ?
On tambourina à l’huis. Chanson l’ouvrit. Frère Richard, l’aumônier, fit irruption, hors d’haleine, et tendit la main vers Cuthbert.
— Mon père, venez voir ! Vous aussi, Sir Hugh !
— Et moi ? interrogea l’ermite.
— Retournez chez vous ! répondit le clerc. Mais nous nous reverrons, Gardien des portes.
Corbett sortit dans l’air froid de la nuit et allongea le pas pour rattraper frère Richard.
— C’est dans l’église... sacrilège, blasphème !
Ils montèrent les marches et franchirent l’entrée principale. À gauche de Corbett, un moine tirait encore sur la cloche.
— Merci ! cria le magistrat. Nous avons compris qu’il était arrivé quelque chose.
Il saisit le bras de l’aumônier.
— Mais quoi ?
Frère Richard désigna la nef. Quelques cierges brûlaient encore dans le choeur. Corbett examina l’entrée du jubé. Mais ce fut Ranulf qui l’aperçut le premier.
— Par les ailes des anges ! souffla-t-il. Au nom de Dieu, qu’est-ce donc ?
La peur donna la chair de poule au clerc. Frère Richard resta en arrière tandis qu’il remontait la nef, le bruit de ses pas sonnant creux. Corbett entendait un bruissement de voix derrière lui. Il s’approcha et eut un haut-le-coeur. Le cadavre d’un chat, la gorge tranchée, avait été accroché par la queue et se balançait à une poutre au-dessus de la porte du jubé. La fourrure hérissée, le corps qui dansait et la flaque de sang dessous lui retournèrent l’estomac et lui donnèrent la nausée. Il allait s’éloigner quand il vit le morceau de parchemin fiché sur le corps. Il se couvrit la bouche et arracha le vélin. Ce faisant, il effleura la fourrure du chat et crut bien qu’il allait vomir.
— Ranulf ! appela-t-il. Pour l'amour de Dieu, enlève-le !
Son écuyer, maugréant et jurant, dépendit le cadavre. Frère Richard se précipita, muni d’une boîte en bois qu’il avait trouvée dans le clocher. Ranulf y coucha le chat et sortit par une porte latérale. Corbett inspira profondément quelques instants et sentit ses nausées s’apaiser.
— Tout va bien, Sir Hugh ?
Chanson s’avança. Son maître était blême.
— Ce n’est pas à cause de cette pauvre bête, expliqua-t-il. Mais c’était si épouvantable de la voir suspendue là.
Il redescendit la nef. À la lueur de la torche, il déchiffra le bout de parchemin. Les mots étaient griffonnés comme ceux d’un enfant sur une ardoise :
J USTICE SERA RENDUE , L ’ ÉPÉE DE MANDEVILLE APPROCHERA DE CETTE MAISON .
Corbett étudia le message avec soin. Le vélin pouvait provenir de n’importe où : les bords étaient irrégulièrement découpés et il était plutôt sale. L’encre noire était commune et l’écriture mal formée à dessein pour dissimuler la facture de l’auteur. Le clerc le tendit au prieur.
— D’où venait cet animal ? questionna-t-il.
— C’est l’un des nombreux chats que nous avons par
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