Funestes présages
pieds. La Résurrection et toutes les gloires et abominations du Second Avènement. Quelques peintures, anciennes, commençaient à s’effacer. D’autres étaient récentes. Corbett se rendit compte que les plus neuves avaient l’exorcisme pour thème : le Christ guérissait le Gadarénien. Une armée de diablotins noirs s’échappaient de la bouche du malheureux et leur chef criait : « Légion est mon nom, car nous sommes beaucoup ! »
Corbett, en étudiant les peintures, prit vivement conscience de la guerre entre le visible et l’invisible. Il comprit que la plupart des scènes avaient dû être réalisées à la requête de l’abbé Stephen. L’artiste, ayant laissé libre cours à son imagination, n’avait pas ménagé ses effets. Les démons avaient pris maintes formes : c’était parfois de sombres silhouettes aux yeux ardents et aux dents acérées de limier ; parfois des singes et des babouins ; et une fois même un connil à tête de gargouille. D’autres fresques proposaient un thème tout à fait différent. Le magistrat se remémora le verset des Évangiles disant que « Satan pouvait se manifester comme un ange de lumière ». Sur ces panneaux-là, le séraphin déchu avait les traits d’un gracieux jouvenceau aux yeux de saphir, aux brillants cheveux d’or et au visage éclairé par le soleil. Il portait des tuniques de soie aux glands dorés bordés d’argent. Le seul détail qui révélait sa véritable identité était ses mains crochues toujours proches du pommeau d’une dague ou d’une épée. Au-dessous étaient inscrites les paroles du Christ tirées de l’Évangile de saint Jean : « Le diable était homicide dès le commencement. » Dans toutes ces représentations, Lucifer, Satan ou Belzébuth avait l’apparence d’un jeune courtisan ou d’un beau chevalier prêt à se battre. Corbett était fasciné. L’intérêt que portait l’abbé Stephen à la démonologie était clair. Une oeuvre trônait sur le mur devant la chapelle de Notre-Dame. Elle était intitulée Le Premier Péché et montrait Caïn brisant le crâne de son frère Abel avec un os d’animal. À leur droite se dressait l’autel des sacrifices et, tout en haut, se trouvait l’oeil de Dieu à qui rien n’échappait. Le clerc étudia la scène avec soin. Sous l’autel il y avait des roues avec des moyeux et des rayons, très semblables à celles de la mosaïque romaine ou aux dessins qu’il avait vus dans la chambre de l’abbé. II pénétra dans la chapelle de Notre-Dame et alluma deux cierges. Il les piqua sur le candélabre, s’agenouilla sur les coussins et récita trois Ave pour Maeve et sa famille. Puis, prenant l’un des cierges, il retourna près de la peinture. Il supposa qu’elle n’avait été achevée que depuis peu, quelques mois ou à peine une année. Plus il la détaillait, plus son intérêt croissait.
Elle était fort subtile. Plusieurs parties en étaient cachées par les ombres profondes du transept, mais, grâce au cierge, Corbett put s’arrêter sur chaque élément. Il sourit à part lui. Au premier abord, Caïn et Abel se trouvaient, semblait-il, dans le désert et offraient un sacrifice sur un escarpement rocheux. Le Paradis s’étendait en arrière-fond. L’artiste, sans doute à la demande de l’abbé, en avait fait un endroit verdoyant et luxuriant, avec des arbres, des plantes et des bâtiments élégants. Le magistrat, pourtant, reconnut l’abbaye de St Martin-des-Marais au milieu de ses pâturages, de ses prairies, de ses bosquets et de ses ruisseaux. Il put même reconnaître Bloody Meadow avec son tumulus surmonté d’une croix. Corbett, tenant le cierge, s’assit au pied d’un pilier pour essayer de voir la peinture dans son entier. Caïn et Abel avaient l’allure de deux jeunes gens et, à l’arrière-plan, se tenait une femme. Était-ce Ève, leur mère ? Elle était manifestement en deuil, vêtue de noir des pieds à la tête, les mains levées vers son visage dans un geste de supplication. Près d’elle on devinait deux jouvenceaux tout armés, comme pour la protéger. Était-ce d’autres fils, se demanda le clerc, ou bien des anges ou des démons ?
Il se leva, prit la chandelle, la déposa sur son support de fer et continua sa visite. Il fit une petite halte devant le tombeau de l’abbé Stephen et murmura une brève oraison. L’autre côté de l’église était aussi peint. Les panneaux étaient beaucoup plus anciens, sauf un,
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