Funestes présages
Daubigny, répondit-elle d’un ton calme.
Elle regarda le coussiège où Ranulf et Chanson faisaient mine de s’intéresser à quelque chose dans le jardin.
— Je déplore vraiment le trépas de Sir Stephen, ajouta-t-elle.
— Le meurtre, Madame ! Sir Stephen Daubigny a été occis.
— En êtes-vous certain ?
Elle plia derechef sa serviette.
— On l’a trouvé dans sa chambre, son propre poignard enfoncé dans la poitrine.
— Je suis navrée, Sir Hugh. Personne ne devrait mourir ainsi.
Son regard se perdit au loin.
— L’abbé Stephen était un homme bon, mais, pour moi...
Elle haussa une épaule.
— Aviez-vous de la sympathie pour lui ?
— C’était mon rival. Il avait des prétentions sur Falcon Brook, et ce fâcheux de prieur Cuthbert avait aussi laissé entendre qu’il existait un codicille par lequel St Martin pouvait réclamer certaines de nos terres. Je l’ai informé que mes hommes de loi s’opposeraient bec et ongles à ces revendications devant le tribunal de la Chancellerie.
— Rencontriez-vous parfois l’abbé Stephen ?
— À l’occasion, de loin. Mais non, Sir Hugh, je ne l’aimais pas et la réciproque était vraie.
— Parce que c’était un abbé qui exigeait un morceau de votre propriété, ou parce que c’était Sir Stephen Daubigny ?
— Les deux.
Corbett but une gorgée de vin et, de propos délibéré, déplaça sa chaire sur le côté pour y voir mieux. Lady Margaret lui faisait penser à quelques-unes des nobles veuves de la cour d’Édouard : gracieuses, attirantes, charmantes, mais avec une langue redoutable et une volonté de fer.
— Vous dirigez vous-même ce domaine ?
— J’ai des intendants et des baillis.
Elle eut un sourire malicieux.
— Et, surtout, des hommes de loi.
— Et vous ne vous êtes point remariée ?
Lady Margaret cilla.
— Oh, Sir Hugh, murmura-t-elle, ne jouez pas au plus fin avec moi !
Elle se pencha et lui tapota la main.
— Je vous ai vu une fois, à la Cour. Nous n’avons pas été présentés : ne soyez donc pas gêné de ne vous souvenir ni de mon nom ni de mon visage. C’était il y a trois ans, à l’Épiphanie, lors d’une cérémonie en grand apparat. Vous savez à quel point Édouard aime ces célébrations.
Corbett eut un petit rire.
— Il était là, débordant d’activité comme à l’accoutumée. Édouard aux cheveux d’or, ajouta-t-elle avec nostalgie. L’esprit d’un jouvenceau dans le corps d’un vieil homme. Mon Dieu, comme il a changé, n’est-ce pas, avec sa chevelure gris d’acier ? Je me souviens de lui dans sa jeunesse : il me faisait penser à un léopard doré.
Elle sourit.
— Un splendide animal, lové, prêt à bondir. En tout cas, Monseigneur a fait ce qu’il faisait toujours : il m’a enlacée et embrassée. J’ai jeté un coup d’oeil par-dessus son épaule et j’ai aperçu près de la porte un homme élancé, à la peau mate et aux yeux tristes, vêtu comme un prêtre. « Qui est-ce ? ai-je demandé au roi.
— Oh, Corbett, mon faucon, m’a-t-il répondu. Il préférerait voler que faire des courbettes et becqueter à la Cour. »
Le magistrat sourit.
— Vous n’aimez donc point la Cour, Sir Hugh ?
— Je la trouve parfois difficile à supporter, Madame, expliqua le clerc sans tenir compte de l’éclat de rire aigu de Ranulf. Tout n’est qu’ombres sans beaucoup de substance.
— Êtes-vous marié ? s’enquit Lady Margaret.
Le sourire du clerc fut une réponse suffisante.
— Quant à mon remariage, continua la châtelaine, je suis sûre que le roi vous en a parlé. Oh, il aurait voulu que j’épouse celui-ci ou celui-là, mais je l’ai prié, pour l’amour de Reginald, de m’en dispenser. Il a accepté.
Elle se mordilla la commissure des lèvres.
— J’ai aussi cité la loi canon et vous n’ignorez pas à quel point Édouard tient à la loi. Je lui ai fait remarquer que rien ne prouvait la mort de mon mari et que, par conséquent, je n’étais peut-être pas veuve.
— Pensez-vous qu’il a trépassé, Madame ? Estimez-vous que c’est le cas ?
— Oui et non. L’impitoyable raison me dit qu’il doit en être ainsi, sinon il serait revenu. Mais mon coeur jamais ne l’admettra !
Elle avait presque crié.
— Madame, dit Corbett en choisissant ses mots avec soin, je suis ici pour vous interroger là-dessus et pour apprendre tout ce que vous savez sur Sir Stephen Daubigny.
Lady Margaret
Weitere Kostenlose Bücher