Funestes présages
m’intrigue.
Corbett tapota les livres sous son pourpoint.
— Il était en proie à une grande agitation, absorbé par ses études. À tel point qu’il a négligé de se restaurer et n’a pas rejoint les autres au réfectoire. Mais pourquoi un moine, au coeur de l’hiver, étudiait-il si tard ? Cherchait-il quelque chose ? Un indice sur ces meurtres ?
Le prieur sortit des ténèbres et s’approcha.
— Sir Hugh, que pouvons-nous faire ?
— Je vous l’ai déjà dit, rétorqua Corbett. Les membres du chapitre ne doivent pas, si possible, rester seuls pendant de longs moments.
— Mais nous avons des chambres individuelles et des tâches à accomplir !
— Alors soyez prudents, insista le clerc. Prévenez-les qu’on peut leur tendre des pièges. Oh, au fait, je voudrais que tous les arcs et les flèches qui se trouvent dans les caves soient rassemblés en un même endroit et gardés.
— Et où est l’archidiacre Adrian ? interrogea Ranulf.
— Il a refusé mon invitation au réfectoire, expliqua Cuthbert en hochant la tête. Perditus m’a dit qu’il était dans une rage folle et avait déclaré qu’il resterait dans sa chambre et y souperait.
— Comme nous le ferons, annonça Corbett. Messire le prieur, dites à vos moines de terminer leur repas. Mes compagnons et moi retournons à l’hôtellerie. Nous mangerons ce qu’il vous plaira de nous envoyer.
Quand ils furent rentrés, Chanson alluma chandelles et lampes à huile et enflamma le brasero. Ranulf verrouilla portes et fenêtres.
— Pourquoi, s’étonna-t-il, pourquoi occire un bibliothécaire ? Un archiviste ?
Le magistrat s’assit sur le lit et sortit les volumes de sous son justaucorps.
— Pour la même raison qu’il s’en est pris à nous, Ranulf.
Il eut un sourire amer.
— Pour être juste, je dois reconnaître que l’assassin m’a averti de ne pas rester. Si les envoyés royaux avaient été chassés de l’abbaye, le souverain aurait été courroucé, mais, puisque nous nous sommes attardés, le tueur a frappé. Il en va de même pour le pauvre frère Francis. Pense à un goupil traquant les poulets, Ranulf : c’est ce que notre homme est devenu. Je ne suis pas certain qu’il ait su que frère Francis cherchait quelque chose, mais il a appris qu’il se trouvait seul.
Le magistrat s’interrompit quand on frappa à la porte. Perditus entra, chargé d’un plateau de plats fumants qu’il déposa sur la table.
— Que va faire le père prieur ? s’enquit Ranulf.
Le frère lai s’assura que le plateau ne risquait pas de tomber et haussa les épaules.
— Je lui ai dit qu’il devrait quérir auprès du shérif une escorte armée. Mais, soupira-t-il, cela prendra des jours. Nous avons besoin de lanciers et d’archers pour patrouiller dans les couloirs. De gardes sur les sentiers. J’ai fait remarquer au père prieur qu’on devrait allumer d’autres braseros. Il y a des endroits en hauteur dans cette abbaye où pourraient se placer des sentinelles, mais... je ne suis qu’un frère lai !
Corbett leva les yeux.
— Avez-vous prononcé des voeux solennels, Perditus ?
— Non. Des voeux temporaires. Si je le voulais, je pourrais partir.
— Et le voulez-vous ?
Perditus fit un geste de dénégation.
— St Martin me plaît et sa communauté est bonne envers moi.
— Et l’assassin ?
— Oh, c’est sans nul doute l’un des moines !
— Ou l’archidiacre Adrian ?
— C’est vrai, admit Perditus. Il n’aime point St Martin-des-Marais. Mais je dois rejoindre mes frères.
Corbett le laissa partir et ouvrit le premier volume. D’un pouce rapide, il feuilleta les pages jaunissantes et craquantes. Ce n’était que la copie d’une chronique anglo-saxonne, retranscrite avec soin par un moine qui avait quitté ce monde depuis longtemps. Les feuillets volants, au début et à la fin, ne révélèrent rien de spécial. Le second ouvrage était plus intéressant. Il contenait des extraits de L’Art d’aimer, l’oeuvre célèbre du poète latin Ovide. Certains passages firent sourire le magistrat. Dans sa jeunesse il avait vu de semblables poèmes dans les bibliothèques d’Oxford et, lorsqu’il courtisait Lady Maeve, il avait même récité quelques-uns de ces vers fameux. Les pages, à la fin, permettaient aux étudiants de noter leurs propres réflexions. Corbett reconnut l’écriture de l’abbé Stephen dans quelques simples versets de regret. Il s’éclaircit
Weitere Kostenlose Bücher