Furia Azteca
étouffée par d'autres que nous.
- Pas étouffée ! " pleurnicha Cocôton. Elle se glissa hors des bras de sa mère et partit en trottinant de l'autre côté de la pièce. A deux ans, ma fille avait déjà un vocabulaire très étendu, mais elle disait rarement plus de deux mots à la suite, n'étant pas très Bavarde.
" quand Cocôton est née, je la trouvais affreuse, remarquai-je en continuant à m'habiller. Maintenant, elle
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est devenue si jolie qu'elle ne pourra guère qu'enlaidir ; c'est bien dommage, car au moment o˘ il faudra la marier, elle aura l'air d'une truie sauvage.
- Truie sauvage, approuva Cocôton dans son coin.
- Certainement pas, rétorqua fermement Zyanya, les petites filles atteignent leur plus grande beauté vers douze ans, avant leurs premières règles. Puis elles s'épanouissent à nouveau vers vingt ans. Oui, à vingt ans, une fille est plus belle qu'elle ne l'a été et qu'elle ne le sera jamais.
- C'est vrai, tu avais vingt ans quand je suis tombé amoureux de toi et que je t'ai épousée et depuis, tu n'as pas vieilli d'un jour.
- Tu es un flatteur et un menteur. J'ai des petites rides au coin des yeux, ma poitrine n'est plus aussi ferme, j'ai des vergetures sur le ventre et...
- «a ne fait rien. Ta beauté de vingt ans a fait une telle impression sur moi qu'elle est restée gravée à jamais dans mon esprit. Je te verrai toujours ainsi et même si un jour quelqu'un me disait : "Espèce d'idiot, tu vois bien que c'est une vieille bonne femme", je ne le croirais pas. " Je réfléchis un moment, puis je lui dis dans sa langue maternelle :
" Rizalazi Zyanya chuiipa chii, chuiipa chii Zyanya. " C'était une sorte de jeu de mots qui voulait dire à peu près ceci : " Se rappeler Toujours à
vingt ans lui fait avoir toujours vingt ans. "
" Z‚a ? me demanda-t-elle tendrement.
- Zyanya, lui assurai-je.
- Comme c'est agréable de penser que tant que je serai avec toi j'aurai toujours vingt ans. Même si l'on est séparé, o˘ que tu sois, j'aurai toujours vingt ans. " Ses yeux étaient un peu voilés par l'émotion, puis elle ajputa en souriant :
" J'aurais d˚ te le dire avant, Z‚a, tu n'es pas vraiment laid.
- Vraiment laid ", répéta ma fille. Cela nous fit rire tous les deux et mit un terme à ce moment d'enchantement. Je pris mon bouclier, je l'embrassai et quittai la maison.
Il était encore tôt et les barques qui emportaient les 633
ordures encombraient le canal au bout de la rue. Le ramassage des immondices était le dernier des métiers, à Tenochtitl‚n ; on y employait les pauvres diables les plus misérables - estropiés, ivrognes et autres.
Tournant le dos à ce spectacle déprimant, je pris une rue qui montait vers la place, quand j'entendis Zyanya m'appeler. Je me retournai et levai ma topaze. Elle était sortie pour me dire au revoir et elle me cria quelque chose avant de rentrer. que me disait-elle ? " Tu me diras comment la Première Dame était habillée " ; ou " Fais attention de ne pas te mouiller
" ; ou encore : " Souviens-toi que je t'aime. " Je n'en sais rien, car une rafale de vent emporta ses paroles.
La source de Coyoac‚n étant située plus haut que le niveau des rues de Tenochtitl‚n, l'aqueduc était en pente. Il avait plus d'une brassée de profondeur et de largeur et faisait près de deux longues courses. Il rejoignait la jetée à l'endroit o˘ était construit le fort d'Acachinango et de là, il tournait sur la gauche et suivait le parapet de la digue pour arriver droit sur la ville. Une fois sur l'île, son flot alimentait des conduites plus petites qui desservaient Tenochtitl‚n et Tlatelolco, remplissaient des réserves placées dans chaque quartier et faisaient jaillir l'eau de plusieurs fontaines récemment installées sur la place.
Ahuizotl et ses ingénieurs avaient tenu compte du conseil de Ne/ahualipili concernant le contrôle des eaux. A l'endroit o˘ l'aqueduc rejoignait la digue, et là o˘ il arrivait dans la ville, la cuvette de pierre était entaillée de rainures verticales dans lesquelles pouvaient s'adap^ ter de grosses planches pour arrêter le flot si c'était nécessaire.
Le nouvel ouvrage devait être dédié à Chalchiuitlicue, déesse des lacs et des cours d'eau, à la figure de grenouille. Elle était moins exigeante que les autres dieux en fait d'offrandes humaines et par conséquent, les sacrifiés ne seraient pas plus nombreux qu'il le fallait. A l'autre extrémité de l'aqueduc, du côté de la
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