Furia Azteca
ne m'arriva rien de remarquable et je ne cherchai pas à faire des achats qui m'auraient encombré. S'il se trouvait des découvertes fortuites à faire
- comme les défenses géantes -, je suis passé sans les voir. La seule aventure notable qui m'advint se produisit tout à fait par hasard.
Je me trouvais près de la côte occidentale, dans le pays de Nayarit, l'une des provinces situées au nord du Michoac‚n. J'étais venu jusque-là pour voir un volcan qui était en éruption violente depuis près d'un mois et qui menaçait de ne jamais s'arrêter. Ce volcan s'appelle le Tzeboruko, ce qui veut dire ronfler de colère. Mais c'était bien pire que cela : il grondait furieusement et crachait des tourbillons de fumée gris‚tre qui montaient jusqu'au ciel sillonnés d'éclairs de feu.
Le Tzeboruko domine une vallée fluviale et sa coulée se déversait naturellement dans le lit de la rivière qui n'était pas assez profonde pour refroidir et durcir la roche en fusion. L'eau se mettait seulement à
bouillir à son contact et s'évaporait sous cet assaut. quand j'arrivai pour voir ce spectacle, la roche en fusion, telle une
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grande langue rouge, faisait reculer la rivière. La plupart des habitants de la région faisaient tristement leurs paquets pour s'en aller plus loin.
Dans le passé, des éruptions avaient parfois dévasté toute la vallée jusqu'à la côte qui se trouve à environ vingt longues courses.
Ce fut le cas, cette fois-là. J'ai essayé de vous rendre la furie de l'éruption, révérends scribes, pour que vous me croyiez quand je vous raconterai comment elle m'a finalement projeté en dehors du Monde Unique, directement dans l'inconnu.
Comme je n'avais rien d'autre à faire, je passai plusieurs journées à
déambuler près du fleuve de lave - aussi près que le permettaient la chaleur br˚lante et les fumées asphyxiantes. La lave se déplaçait comme une traînée de boue, au pas d'un homme qui ne marcherait pas très vite. Au bout de quelques jours, nous nous sommes retrouvés, elle et moi, au bord de l'océan occidental.
Là, le lit de la rivière se resserre entre deux montagnes et débouche sur un vaste- croissant de sable qui borde une mer turquoise. Sur la plage, je vis un hameau de huttes de roseau, mais pas ‚me qui vive. Il était clair que ces pêcheurs avaient, eux aussi, prudemment décampé. Cependant, quelqu'un avait laissé sur la rive un petit acali avec sa pagaie et je décidai de le mettre à l'eau pour aller attendre, à distance respectueuse, le moment o˘ la roche bouillonnante rencontrerait la mer. La rivière avait été incapable de résister à l'assaut de la lave, mais je savais que les eaux inépuisables de l'océan l'arrêteraient et je pensais que cette rencontre serait un spectacle impressionnant.
Le choc ne se produisit que le lendemain et auparavant, j'avais mis toutes mes affaires dans le bateau et ramé au-delà des brisants ; je me trouvais par conséquent en plein milieu de la baie. Avec ma topaze, je voyais le flot de lave ardente s'avancer en rampant sur la plage, jusqu'au bord de la mer. De la terre, je ne distinguais, à travers l'épaisse fumée et la pluie de cendres, que l'éclat rosé du Tzeboruko qui continuait à vomir les entrailles de Mictlan, traversé parfois par un éclair doré.
Alors, sur la plage, le serpent rougeoyant sembla hésiter un moment, puis rassembler ses forces pour se lancer
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à l'assaut de l'océan avec le fracas tonnant d'un dieu blessé, un dieu irrité et offensé. L'océan s'était mis à bouillonner si soudainement qu'il explosa en fumée et la lave se durcit si brusquement qu'elle éclata en morceaux. La vapeur se transforma en une falaise de nuages et je sentis une écume chaude ruisseler sur moi. Mon acali fut projeté si violemment en arrière que je faillis basculer. Je m'accrochai à ses parois et la pagaie tomba à l'eau.
La mer, semblant se remettre de sa surprise, se rua à l'assaut de la plage, tandis que la roche en fusion poursuivait son avance. Le grondement était incessant et le nuage de fumée se poussait vers le haut comme s'il avait voulu gagner le ciel ; sous l'attaque, l'océan recula une nouvelle fois. Ce mouvement d'avant en arrière, de la terre à la mer, s'effectua je ne sais combien de fois ; j'étais moi-même étourdi par le balancement de mon acali, mais je me rendais néanmoins compte que le flux m'emportait bien plus loin au large que le reflux ne me ramenait vers le
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