Furia Azteca
poisson que les pêcheurs arrivaient à
prendre, la nuit, en cachette. Puis, il n'y eut plus ni chiens, ni volailles et même le poisson semblait éviter les abords de la ville. Nous en vînmes à manger les pensionnaires de la ménagerie, sauf ceux qui n'étaient vraiment pas comestibles et les spécimens particulièrement rares que les gardiens refusaient de livrer ; ces animaux étaient d'ailleurs mieux nourris que leurs maîtres car on leur donnait à manger les esclaves morts de faim.
Ce n'était pas par crainte d'être pris que les poissons avaient déserté les parages, mais parce que les eaux étaient devenues très sales. Bien que l'on f˚t à la saison des pluies, il ne tombait qu'une légère bruine l'après-midi. On sortait alors tous les récipients disponibles, 1020
mais on recueillait tout juste assez d'eau pour humecter nos gosiers desséchés. Aussi, surmontant notre répugnance, nous prîmes l'habitude de boire l'eau saum‚tre de la lagune. Cependant, comme on ne pouvait plus évacuer les ordures de l'île, ni les excréments humains, tout se déversait dans les canaux, puis dans le lac. En outre, comme on ne donnait que les esclaves à manger aux animaux de la ménagerie, nous ne pouvions pas faire autrement que de jeter aussi les cadavres dans l'eau. Cuauhtemoc donna l'ordre qu'on dépose uniquement les corps du côté ouest, parce que le côté
est était plus profond et plus ou moins constamment rafraîchi par le vent d'est. Il espérait ainsi que l'eau serait moins polluée de ce côté. Mais les cadavres en décomposition et les détritus souillèrent inévitablement les eaux tout autour de l'île. Pourtant, il fallut bien boire quand la soif nous y contraignit. Nous la passions d'abord dans un linge, puis nous la faisions bouillir, ce qui ne nous empêchait pas d'avoir la colique et des maux de ventre. Beaucoup d'enfants et de vieillards succombèrent d'avoir bu cette eau infectée.
Une nuit, alors qu'il n'en pouvait plus de voir son peuple souffrir autant, Cuauhtemoc appela toute la population à se rassembler au Cour du Monde Unique pendant l'accalmie de la canonnade, et je crois que tous ceux qui pouvaient marcher vinrent. L'Orateur Vénéré s'adressa au peuple, perché sur l'escalier en ruines de ce . qui restait de la grande pyramide.
" Si Tenochtitl‚n est destinée à vivre encore un peu, ne doit plus être une ville, mais une place-forte défendue par tous ceux qui peuvent se battre.
Je suis fier de votre fidélité et de votre courage, mais le temps est venu o˘ je vais être obligé de vous demander à grand regret de ne plus être fidèles. Il reste encore une réserve de vivres, mais une seulement. "
La foule se contenta d'émettre un murmure qui res-rsemblait à celui d'un immense ventre affamé.
" Je peux répartir équitablement le maÔs entre chacun d'entre vous, poursuivit Cuauhtemoc et vous en tirerez peut-être un dernier et frugal repas, ou bien alors, nourrir un peu mieux nos guerriers et leur donner des forces
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pour se battre jusqu'au bout. Je ne vous donne pas d'ordre. Je vous demande seulement de choisir et de prendre une décision. " Pas un son ne lui répondit.
" Je viens de faire remettre des ponts sur la chaussée du nord. L'ennemi attend prudemment à l'autre bout, en se demandant quelles sont nos intentions. J'ai pris cette mesure afin que tous ceux qui voudrqnt partir puissent le faire. J'ignore ce que vous trouverez à Tepeyac - un soulagement ou la Mort Fleurie - mais je supplie ceux qui ne peuvent pas combattre de saisir cette occasion de quitter Tenochtitl‚n. Ce ne sera ni une désertion, ni un aveu de défaite et vous n'aurez pas à avoir honte. Au contraire, vous permettrez à notre ville de résister le plus longtemps possible. Je n'ai rien d'autre à vous dire. "
Personne ne partit en h‚te ou le cour léger. Tout le monde pleurait et se lamentait tout en reconnaissant que Cuauhtemoc avait raison. Cette nuit-là, la ville se vida des plus vieux, des trop jeunes, des infirmes, des prêtres, de tous ceux qui- ne pouvaient pas se battre. Portant des ballots o˘ ils avaient mis leurs biens les plus précieux, les habitants des quatre quartiers de Tenochtitl‚n convergèrent vers le marché de Tlatelolco et franchirent la
chaussée.
A l'autre bout, ils ne furent pas accueillis par des coups de tonnerre.
J'ai appris par la suite que les Blancs étaient restés indifférents devant leur arrivée et que la population de Tepeyac, bien
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