Galaad et le Roi Pêcheur
mais je te déconseille de partir. Je vais mettre bon ordre à tout cela. – Seigneur, reprit l’ermite, tu ne connais pas le roi félon. Non seulement il est cruel et perfide, mais il a à son service de redoutables guerriers qui n’ont pas de scrupules à frapper les gens de rencontre quels qu’ils soient, hommes, femmes ou enfants. »
Sans répondre rien, Galaad accompagna l’ermite jusqu’au lieu du rendez-vous et, là, conseilla à chacun de retourner dans son ermitage. Lui-même se faisait fort de débarrasser le pays de la tyrannie scandaleuse du roi des Ombres. « Je ne vous demande, leur dit-il, que de prier Notre Seigneur pour moi. Conjurez-le de me guider et de soutenir mon bras contre ceux qui, s’étant vu confier par Dieu des terres à mettre en valeur et des habitants à protéger, se comportent en dépositaires indélicats ! » Là-dessus, il se fit indiquer le chemin qui menait au Château des Ombres, et s’en fut au plus vite à travers la forêt, dans l’espoir de régler sans tarder leur compte aux mécréants qui prétendaient expulser ceux dont le seul tort était d’avoir choisi la seule compagnie de Dieu de préférence au contact corrupteur des hommes.
Il ne tarda guère à découvrir le Château des Ombres et, s’en approchant avec prudence, remarqua que l’entrée en était des mieux défendues par des chevaliers placés de part et d’autre des tours de garde, au débouché du pont lancé sur un torrent dont les flots impétueux faisaient un tumulte incessant. Sur le pont se dressait, à deux portées d’arc, une chapelle exactement semblable à celle de Kamaalot, et à l’intérieur de laquelle se trouvait un tombeau dont on ignorait ce qu’il recelait. Cependant, à en croire les chevaliers qui gardaient la porte, une prophétie fort ancienne affirmait qu’un chevalier portant un bouclier frappé d’une croix vermeille conquerrait cette forteresse sur un roi qui aurait renié Dieu. Aussi, lorsque Galaad se présenta devant le pont, les chevaliers qui aperçurent la croix vermeille de son bouclier commencèrent-ils à redouter le pire.
Lui, cependant, s’était engagé sur le pont, menant son cheval au pas. Arrivé devant la chapelle, il s’arrêta, mit pied à terre, déposa sa lance et son bouclier contre le mur et entra dans le sanctuaire pour examiner la tombe. Ayant constaté qu’effectivement la dalle de marbre ne comportait aucune inscription, il se baissa, en saisit le rebord et la souleva sans difficulté. À l’intérieur gisait le corps d’un chevalier dont le nom, Joseph, était gravé, dans la pierre mais sans autre précision. Du reste, un parfum suave embauma l’atmosphère et, s’exhalant bien au-delà de la chapelle, atteignit même la porte de la forteresse.
C’est ainsi que les gens apostés là ne doutèrent plus que le tombeau n’eût été ouvert. Et comme la prophétie stipulait qu’il ne pourrait l’être que par le chevalier qui se rendrait maître du Château des Ombres, leur inquiétude redoubla. Bientôt alerté, le roi du Château les rassura néanmoins, en prétendant que le chevalier ne pourrait rien contre eux. Là-dessus, Galaad sortit de la chapelle, enfourcha son destrier blanc, plaça son bouclier devant sa poitrine et, brandissant sa lance, s’élança vers la porte. Trois des défenseurs s’en détachèrent pour l’affronter, mais il frappa le premier si rudement qu’il l’envoya voler dans le torrent. Quant aux deux suivants, ils eurent beau lui tenir tête assez longtemps, ils finirent, taillés en pièces, à leur tour dans les flots.
Un deuxième groupe se rua alors contre Galaad qui, ayant brisé sa lance, dégaina l’Épée aux Étranges Renges et en frappa tant et sans relâche ceux qui se risquaient devant lui qu’à la fin il les renversa tous et les jeta eux aussi dans les tourbillons. Ainsi se succédèrent contre lui sept groupes de chevaliers, mais le septième, comprenant sa cause perdue, se rendit. Or, lorsque le roi du Château des Ombres qui, depuis les remparts, assistait au combat, vit ses derniers chevaliers remettre à Galaad leurs épées, il sombra dans un désespoir si extrême que, gagnant le lieu le plus élevé du mur d’enceinte, il releva sa cotte de mailles, puis, tirant son épée, se l’enfonça dans la poitrine et, par-dessus les remparts, tomba dans les eaux du torrent.
Au même moment, les douze ermites sortirent de la forêt et se dirigèrent vers le Château des
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