Galaad et le Roi Pêcheur
inconsidéré qui a forcé tous les autres à t’imiter ? Était-ce bien nécessaire ? – Mon oncle, répondit Gauvain, souviens-toi des prédictions de Merlin : il savait de longue date qu’un jour nous devrions nous lancer dans cette quête du Graal parce que Dieu l’avait ordonnée de toute éternité. » Au seul nom de Merlin, Arthur se rembrunit davantage encore. « Ah ! murmura-t-il, que n’est-il là ! Il me dirait ce qu’il convient de faire ! » Puis il demeura tout pensif et muet, tandis que les larmes lui ruisselaient sur le visage.
À le voir si triste, Gauvain et Lancelot sentirent une égale tristesse les envahir. Ils n’osaient cependant rien dire. « Dieu tout-puissant ! reprit enfin le roi, je croyais ne jamais me séparer de la compagnie que le destin m’avait envoyée ! » Et, se tournant vers Lancelot, il ajouta : « Lancelot, mon ami, par la foi et le serment qui nous lient tous deux, je te prie de m’aider. – En quoi le puis-je, roi Arthur ? Tu le sais je ferais n’importe quoi pour ton service. – Justement, et voilà pourquoi je te demande par quel moyen je pourrais différer cette quête, si vraiment la chose est possible. – Roi, répliqua Lancelot, tu as entendu comme moi tous les compagnons s’engager à commencer la quête et à la poursuivre pendant au moins un an et un jour. Je doute qu’aucun d’eux se renie. Ce serait là se parjurer, et tu ne saurais quant à toi sans grande déloyauté leur demander de renoncer. – Hélas ! reprit Arthur, tu dis vrai, Lancelot. Mais le grand amour que j’ai pour vous tous m’oblige à parler ainsi. Quel malheur est aussi le mien de ne pouvoir rien empêcher ! Et pourtant, si c’était possible et convenable, je ferais tout pour retarder votre départ… »
Tous trois si longtemps devisèrent de la sorte que le soleil avait déjà séché la rosée. La salle commençait à se remplir de barons quand la reine Guenièvre y entra et se dirigea vers Arthur. « Roi, dit-elle, tes chevaliers t’attendent pour aller à la messe, car il ne serait pas bon que vous vous quittiez sans un acte solennel ». Arthur se leva et s’essuya furtivement les yeux pour que personne ne pût s’apercevoir qu’il avait pleuré. Gauvain se fit apporter ses armes, Lancelot de même puis, tout armés, sauf de leurs boucliers, ils se joignirent à leurs compagnons et, avec eux tous, allèrent à l’église entendre la messe. Quand l’office fut terminé, tout le monde revint dans la grande salle et y prit place côte à côte.
« Roi Arthur, dit alors le roi Baudemagu, puisque cette entreprise est si magnifiquement commencée qu’elle ne peut plus être abandonnée, je crois qu’il conviendrait de faire apporter les reliques et de renouveler sur elles notre vœu d’hier soir. – J’y consens, répondit Arthur, puisque c’est là ton désir et le vôtre à tous et que, de toute façon, je ne m’y puis opposer. » Il envoya donc les clercs chercher les reliques sur lesquelles se prêtaient les serments de la cour ; puis il appela Gauvain et lui dit : « Comme tu as donné le signal de cette quête, il te revient d’être le premier à jurer solennellement ta volonté devant Dieu et devant les hommes. » Mais le roi Baudemagu s’interposa : « Roi Arthur, dit-il, avec ta permission, je prétendrai qu’il n’appartient pas à Gauvain de prêter d’abord le serment. La première place est due à celui que nous tenons pour seigneur et maître de notre assemblée : Galaad, puisqu’il a été choisi pour occuper le Siège Périlleux. Étant le Bon Chevalier que nous attendions tous, il est juste que son serment précède les nôtres. Cela fait, nous prêterons tous le même serment que lui, car il doit en être ainsi. »
On appela donc Galaad. Il s’avança, s’agenouilla devant les reliques et jura, en loyal chevalier, de poursuivre la quête un an et un jour, voire davantage s’il le fallait, et de ne revenir à la cour qu’il n’eût appris la vérité au sujet du saint Graal, de la Lance qui saigne et de la blessure du Roi Pêcheur. Après lui, Lancelot répéta mot pour mot la formule, puis vint le tour de Gauvain, de Bohort, de Lionel, de Girflet, de Baudemagu, de Sagremor, d’Yvain et, l’un après l’autre, de tous les compagnons de la Table Ronde. Quand tous se furent exécutés, les clercs qui tenaient les registres déclarèrent avoir dénombré cent cinquante chevaliers si vaillants qu’on
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