Galaad et le Roi Pêcheur
qui avait entendu quelques bribes de cet aparté, lui dit alors : « Par Dieu tout-puissant, dame, est-ce par droit que ce jeune homme doit être aussi bon chevalier ? – Certes, répondit Guenièvre, car par tous ses parents il est issu des meilleurs chevaliers du monde et du plus haut lignage que l’on connaisse ! »
Là-dessus, le roi commanda de dresser les tables, et les chevaliers prirent tous place autour de lui. Après qu’on eut apporté l’eau et qu’ils se furent tous assis, on entendit tout à coup un roulement de tonnerre qui allait s’amplifiant avec une violence si prodigieuse que le bâtiment, crut-on, allait s’effondrer. Alors, une traînée de lumière d’une intensité presque insupportable envahit la salle et la rendit sept fois plus claire qu’elle ne l’était auparavant. Les chevaliers commencèrent à se regarder les uns les autres comme s’ils venaient d’être illuminés par la grâce du Saint-Esprit mais, attentifs à ce qui ne manquerait pas d’arriver, ils restèrent silencieux. Ils étaient demeurés longtemps ainsi, sans que nul d’entre eux eût le pouvoir de parler, s’entre-regardant seulement telles des bêtes muettes, quand une coupe d’émeraude apparut dans l’air, nimbée d’un voile transparent qui diffusait l’étrange lumière dans tous les recoins de la salle. Mais personne ne put voir qui portait la coupe rayonnante. Elle était entrée par la grand’porte et, dès qu’elle fut à l’intérieur, la salle se remplit d’effluves exquis. On eût juré que tous les parfums du monde s’épanchaient là. La coupe merveilleuse fit le tour de la pièce ; et, au fur et à mesure qu’elle passait auprès des tables, celles-ci se trouvaient garnies, devant chaque convive, de tous les mets délicieux qu’il pouvait désirer. Et lorsque tous furent servis en nourriture et en boisson, la coupe d’émeraude disparut sans qu’on sût ce qu’elle était devenue ni par où elle était passée. Le pouvoir de parler fut alors rendu à ceux qui n’avaient pu échanger aucun mot jusque-là. Et leur première réaction fut de remercier Dieu d’un si grand miracle car, ils le savaient bien, jamais pareil prodige ne se représenterait à leurs yeux.
Puis, émerveillés par la finesse et la suavité de ce qu’ils mangeaient, ils commencèrent leur repas. Et ils conversaient tous avec animation. Quand ils eurent presque terminé, Gauvain se leva et dit d’une voix très forte : « Roi. Arthur, il est une chose qu’il faut absolument remarquer : chacun d’entre nous a obtenu ce soir ce qu’il désirait en fait de nourriture. Cela n’est arrivé en aucune cour, en aucune compagnie, sinon chez le Roi Pêcheur. Mais les hôtes admis à la table du Roi Pêcheur n’en ont guère profité, je peux en témoigner, car ils étaient si étonnés qu’ils n’ont rien vu des grands mystères qui se déroulaient devant eux et que, par là même, l’essentiel leur est demeuré caché. Aussi vais-je quant à moi faire le vœu de me lancer dès demain matin dans cette quête du saint Graal et de la poursuivre pendant un an et un jour, voire davantage si nécessaire. Je ne reviendrai à la cour, quoi qu’il puisse advenir, que je n’aie vu plus clairement encore, si toutefois il m’est permis de contempler pareilles merveilles, ce qui nous a été montré ici ce soir. Faute de quoi je m’en retournerai. »
À ces mots, ceux de la Table Ronde se levèrent comme un seul homme et prononcèrent le même vœu, disant qu’ils ne cesseraient d’errer qu’une fois assis à la haute table du Roi Pêcheur pour y savourer d’aussi délectables mets que ceux qu’ils avaient reçus en ce jour. En les voyant tous liés par ce vœu, le roi fut accablé d’une grande tristesse, car il se doutait que rien désormais ne pourrait détourner ses chevaliers de cette entreprise. Il dit à Gauvain : « Ah ! beau neveu ! tu veux donc ma mort ? En prononçant ce vœu, tu m’ôtes la plus belle et la plus loyale compagnie que j’eusse trouvée ! Je ne la retrouverai jamais plus ! Ceux-ci vont s’éloigner de moi, tôt ou tard, et je ne les verrai plus jamais réunis… Certains périront durant cette quête. Car m’est avis qu’elle s’achèvera moins tôt que vous ne le pensez, et cela me tourmente. Je les ai accueillis en cette Table Ronde, je les ai élevés et instruits de tout mon pouvoir et de tout mon cœur, je les ai tous aimés, je les aime comme s’ils
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