Galaad et le Roi Pêcheur
continuèrent à chevaucher à travers la forêt jusqu’au moment où ils parvinrent à la forteresse de Vagan.
Ce Vagan était un baron de bon lignage qui s’était montré irréprochable chevalier durant toute sa jeunesse. Lorsqu’il vit les compagnons de la Table Ronde défiler dans les rues de sa forteresse, il fit fermer toutes les portes et dit que, puisque Dieu lui avait fait l’honneur de les lui amener, lui-même ne les laisserait pas repartir sans les avoir d’abord comblés de tous les dons possibles. Les ayant ainsi retenus de force, il les fit désarmer et se montra si prodigue à leur endroit d’honneurs et de riches présents qu’ils en furent tout abasourdis. Et ils se reposèrent, cette nuit-là, de façon très agréable dans le vaste logis que Vagan leur avait procuré.
Dès que le soleil fut levé, ils s’apprêtèrent à se lancer résolument dans les aventures. Ils prirent leurs armes et, après avoir entendu la messe dans une chapelle, montèrent à cheval et recommandèrent à Dieu leur hôte si aimable et si généreux, le remerciant de l’honneur qu’il leur avait fait. Quant à Vagan, comme il connaissait le but de leur quête, il appela sur eux la protection divine et les accompagna jusqu’à la grande porte de sa forteresse. Et, là-dessus, les compagnons s’engagèrent à nouveau dans la forêt, qui devenait à chaque pas plus profonde et plus épaisse.
Au bout de plusieurs heures, ils se retrouvèrent, au débouché, devant une grande plaine que traversait une large rivière aux eaux abondantes. « Seigneurs, dit alors Perceval à ses compagnons, si nous restons ensemble, nous n’aboutirons à rien. Il vaudrait mieux nous séparer. Que chacun de nous chevauche de son côté. – Tu as raison, dit Gauvain ; si nous poursuivons groupés comme nous le sommes, il ne nous arrivera aucune aventure, et nous nous acquitterons bien mal de notre tâche. Nous allons donc suivre ton conseil, Perceval, et partir un par un à la recherche du saint Graal. » Tous les autres en tombèrent d’accord. On se sépara donc, et chacun choisit la direction qui lui paraissait la meilleure. Et voilà comment les compagnons de la Table Ronde s’éparpillèrent de tous côtés {11} .
3
Les Égarements de Perceval
Après avoir quitté ses compagnons, Perceval eut beau chevaucher toute la journée le long de la rivière, il ne rencontra aucune aventure et ne trouva pas même d’endroit où se faire héberger. Ainsi forcé de passer la nuit à la belle étoile dans la forêt, il retira le mors à son cheval, de sorte que celui-ci pût se repaître de la belle herbe drue qu’emperlait déjà la rosée. Lui-même s’allongea au pied d’un arbre, mais il ne put trouver le sommeil, tant l’obsédait la crainte de ne jamais retrouver le chemin de Corbénic. Et pourtant il lui fallait retourner là-bas, il lui fallait percer les mystères du Graal. Depuis que son épée avait été ressoudée par le forgeron Govannon, près du lac Cotoatre, il se sentait plus fort, mais il vivait tout de même dans la hantise qu’elle ne se rompît à nouveau si, emporté par sa fureur guerrière, il se laissait aller à frapper une deuxième fois un adversaire déjà blessé.
Au matin, quand le soleil parut à l’horizon, Perceval se leva, sangla sa monture et, une fois équipé, se remit en route avec l’espoir de rencontrer quelque aventure à la hauteur de sa prouesse. La matinée lui parut fort agréable, car la forêt était vaste et riche en essences de toute espèce, et le joyeux ramage des oiseaux l’égayait vivement. Comme il chevauchait de la sorte, il aperçut devant lui un chevalier accompagné d’une jeune fille dont l’aspect était pour le moins extraordinaire. Son cou, son visage et ses mains étaient en effet plus noirs que charbon. De plus, ses membres étaient tout tordus et ses yeux, plus rouges que braises, écartés d’au moins une paume. Sa taille semblait ridiculement petite, et ses jambes trop courtes lui interdisaient de passer les pieds dans les étriers. Ses cheveux étaient soigneusement tressés, mais d’une tresse si courte et si noire qu’elle évoquait plutôt une queue de rat qu’autre chose. Elle n’en chevauchait pas moins fièrement, un fouet à la main, et, par souci d’élégance, laissait négligemment reposer l’un de ses mollets sur l’encolure de son palefroi. De temps à autre, elle se rapprochait du chevalier, lui ceignait le col et l’embrassait
Weitere Kostenlose Bücher