Galaad et le Roi Pêcheur
étaient mes fils ou mes frères. Leur départ me sera bien pénible. Que ferai-je sans eux ? Comment pourrai-je supporter leur éloignement ? »
Arthur, après ce discours, sombra dans un noir chagrin. Les larmes lui vinrent aux yeux. Ses compagnons s’en aperçurent, et quand il reprit la parole, ce fut pour dire à Gauvain, si haut que tout le monde l’entendit : « Ah ! mon neveu ! tu m’as mis en grande tristesse et jamais plus je ne pourrai me réjouir avant de savoir vraiment quelle sera la fin de cette quête. J’ai trop de crainte que mes amis n’en reviennent point ! – Roi Arthur, protesta Lancelot, pourquoi pareil découragement ? Un homme tel que toi ne doit pas concevoir de crainte en son cœur ; la crainte est indigne d’un roi. Laisse-toi aller à l’espérance, reprends courage : si nous mourons tous en cette quête, ce sera en grand honneur, car je ne pense pas qu’il puisse exister de plus belle entreprise en ce monde. – Lancelot, répondit le roi, l’amour que j’ai pour mes compagnons m’a arraché ces paroles amères, mais est-il surprenant que je m’afflige de leur départ ? Jamais roi chrétien n’a eu à sa table autant de bons chevaliers. » Lancelot ne savait plus que dire. Quant à Gauvain, il comprenait parfaitement la détresse du roi et, en conscience, lui donnait raison. Il regrettait déjà d’avoir prononcé son vœu, et l’eût-il pu qu’il l’aurait volontiers renié. Mais il était trop tard : ce qui était dit était dit, et aucun de ceux qui s’étaient engagés ne pouvait se dédire sans déshonneur.
On publia donc dans tout Kamaalot que la quête du saint Graal était commencée et que ceux qui devaient y participer quitteraient la cour dès le lendemain. Plusieurs en furent plus tristes que joyeux car, grâce à la prouesse des chevaliers de la Table Ronde, la maison du roi Arthur était plus redoutée qu’aucune autre. Quand les dames et les jeunes filles ouïrent la nouvelle, il en fut beaucoup d’affligées parmi elles, surtout si le départ des chevaliers les privait qui d’un mari, qui d’un ami… Et elles se prirent à mener grand deuil, tant elles craignaient que l’élu de leur cœur n’eût à subir souffrance et mort au cours de la quête.
De son côté, la reine interrogea le valet qui portait la nouvelle : « Dis-moi, mon ami, étais-tu là quand fut jurée la quête ? – Certes, Dame, j’y étais. – Sais-tu si Gauvain et Lancelot sont du nombre qui l’a jurée ? – Oui. C’est Gauvain qui en a fait vœu le premier. Ensuite, Lancelot, après lui tous les autres. Il n’en est pas un qui se soit dérobé. » En entendant cela, Guenièvre se sentit si navrée à cause de Lancelot qu’elle pensa mourir de deuil et ne put empêcher les larmes d’inonder ses joues. « C’est grand dommage, dit-elle, car, je le sais, la quête ne prendra pas fin sans la mort de nombreux chevaliers. Comment le roi, si sage et si prudent, a-t-il permis semblable chose ? Les meilleurs de ses compagnons vont s’en aller, et ceux qui resteront lui seront de peu de secours. » Elle se mit à pleurer longuement, et bon nombre de ses suivantes en faisaient autant.
Ainsi la cour tout entière était-elle troublée et agitée par la nouvelle, et lorsque, les tables ayant été ôtées dans la salle et dans les appartements, les dames eurent rejoint les chevaliers, la douleur ne fit que croître et embellir. Toutes les femmes qui étaient l’épouse ou l’amie d’un compagnon de la Table Ronde disaient à leurs bien-aimés respectifs qu’elles les accompagneraient dans leur quête. Et beaucoup de chevaliers s’apprêtaient à accéder à ce souhait, tant ils se trouvaient malheureux de les quitter pour si longtemps, quand entra dans la salle un vieillard vêtu d’une robe de religieux. Il alla vers le roi et, assez haut pour être entendu de tous, déclara : « Ô roi Arthur, et vous, compagnons de la Table Ronde, écoutez-moi bien. Vous avez juré d’entreprendre la quête du saint Graal et non d’aller courir les routes à la recherche des aventures. Aucun d’entre vous ne peut donc partir en compagnie de femmes, car cette quête-ci n’est point la poursuite des biens terrestres, elle vous oblige à celle des grands secrets de Dieu et des mystères que le Haut Maître permettra de lire à livre ouvert au bienheureux chevalier qu’il aura choisi entre tous. Il lui découvrira les merveilles du saint Graal, lui fera voir
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