Galaad et le Roi Pêcheur
ce qu’aucun mortel ordinaire ne peut supporter. Qui s’engage dans la quête doit donc avoir le cœur pur et l’âme affranchie de toute concupiscence. »
À ces paroles, les chevaliers demeurèrent silencieux et pensifs. En eux-mêmes, ils convenaient que le vieil homme avait raison et qu’il s’agissait cette fois de connaître les choses les plus saintes qui soient au monde. Dès lors, aucun d’eux ne voulut plus emmener son épouse ni son amie. Quant au roi, il ordonna d’héberger dignement le noble vieillard et lui demanda qui il était et d’où il venait. Or celui-ci, sans rien répondre, sans même saluer l’assistance, sortit et s’en fut à pied le long de la rivière. Et si l’on n’en sut pas davantage à son sujet, Arthur ne fut pas sans penser que Merlin, une fois de plus, s’était dérangé spécialement pour révéler aux hommes les secrets desseins de Dieu.
Cependant, la reine s’approcha de Galaad et s’assit à ses côtés. Elle commença par l’interroger sur son pays et son lignage. Il répondit évasivement, se gardant bien de faire la moindre allusion à Lancelot. Certes, Guenièvre était de plus en plus persuadée qu’il était le fils de Lancelot et de la fille du roi Pellès, mais elle voulait en entendre l’aveu de sa propre bouche. Aussi insistait-elle, le priant instamment de dire la vérité au sujet de son père. Il prétendit ignorer de qui au juste il était le fils. « Ah ! seigneur chevalier ! s’écria la reine, pourquoi me celer ce qui m’est connu ? Dieu me pardonne ! Je n’aurais pas honte, moi, de nommer ton père, car il est le plus beau chevalier du monde et il ne descend que de rois, de reines et du plus haut lignage possible ici-bas. Jusqu’à présent, on le réputait le meilleur chevalier non seulement du royaume mais du monde entier. Et, sache-le, le fils d’un tel chevalier se doit de surpasser chacun en courage, prouesses et vertu. D’ailleurs, tu lui ressembles si étrangement que personne, ici, ne peut s’y méprendre, à moins d’être bien distrait ! » En entendant ces paroles aussi débordantes d’amour que d’admiration, Galaad se sentit éperdument confus. « Dame, répliqua-t-il, puisque tu es si sûre de le connaître, tu peux me dire son nom. Si tu nommes celui que je tiens pour mon père, je louerai ta perspicacité. Dans le cas contraire, tu auras beau faire, je n’en croirai rien ! – Sur ma foi ! s’écria Guenièvre, puisque tu ne veux pas le nommer toi-même, je vais le faire. Ton père a nom Lancelot du Lac, et il est le fils du roi Ban de Bénoïc. C’est le plus beau chevalier, le meilleur et le plus gracieux, le plus désiré d’entre tous et le plus aimé qui ait vu le jour de ce temps. Il me semble que tu ne dois le cacher ni à moi ni à personne, puisque tu ne saurais être né de plus noble chevalier. – Reine, rétorqua Galaad, puisque tu le sais, je ne vois pas de raison pour ajouter quoi que ce soit. Quant à le déclarer publiquement, c’est une autre affaire. On le saura le temps venu. »
Tous deux devisèrent de la sorte jusqu’à la nuit et, malgré sa jalousie instinctive, Guenièvre ne pouvait s’empêcher d’admirer l’adolescent si semblable à l’homme qu’elle aimait plus que tout au monde. Et, l’heure de dormir venue, le roi emmena Galaad dans sa chambre et le fit coucher dans le lit où il avait coutume de dormir lui-même, afin de l’honorer au mieux ; puis il alla, ainsi que Lancelot et les autres barons, se reposer lui-même. Seulement, il ne put trouver le sommeil, tant il était tourmenté, préoccupé. Et la plupart des compagnons de la Table Ronde se trouvaient dans le même cas. Ils ne dormirent guère, cette nuit-là. Ils se savaient sur le point de partir pour la plus hasardeuse des aventures qu’ils eussent jamais risquée.
Quand le soleil chassa la nuit, le roi quitta son lit, s’apprêta et vint en la chambre où Gauvain et Lancelot avaient couché. Il les trouva déjà habillés et plus résolus que jamais. Arthur, qui les aimait comme s’ils eussent été ses propres fils, les salua affectueusement. Ils s’étaient mis debout pour lui souhaiter la bienvenue, mais il les fit rasseoir et prit place à leurs côtés. Puis, regardant son neveu, il lui dit : « Gauvain ! Gauvain ! tu m’as trahi de bien étrange façon ! Jamais ma cour n’a reçu de toi autant de bien qu’elle en reçut de mal aujourd’hui. Pourquoi avoir prononcé ce vœu
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