Galaad et le Roi Pêcheur
n’en connaissait aucun qui pût être traité de lâche. Ensuite, à la prière du roi, ils allèrent déjeuner {10} . Enfin, tous coiffèrent leurs heaumes pour signifier leur intention de ne plus demeurer davantage.
Quand la reine Guenièvre les vit sur le point de partir, elle se prit à mener aussi grand deuil que si elle avait vu morts devant elle tous ses amis. Mais, pour éviter de laisser paraître son affliction, elle se précipita dans sa chambre et se laissa choir sur son lit, se lamentant et versant des larmes abondantes. Ses suivantes, effrayées, ne savaient comment la distraire de ce chagrin dont elles connaissaient bien assez l’objet. Aussi l’une d’elles alla-t-elle informer Lancelot que, Guenièvre étant au plus mal, il devait absolument l’aller visiter avant de partir.
Il était sur le point de sauter en selle, mais quand la suivante lui eut délivré le message, il se précipita vers la chambre de la reine, tout ému de la savoir émue d’une telle douleur. Or, dès qu’elle le vit entrer, revêtu de ses armes, elle s’écria : « Ah ! Lancelot ! tu m’as trahie et réduite à la mort, toi qui me laisses en la maison du roi pour te rendre en terre étrangère d’où tu ne reviendras si Dieu lui-même ne te ramène vers moi ! » Troublé par ces paroles, Lancelot se jeta aux pieds de la reine. « Je te demande pardon, dit-il, ô toi que j’aime plus que tout au monde. Je ne pouvais pas ne pas m’engager dans cette quête, il y allait de mon honneur, et je sais que tu ne m’aimerais plus si j’étais déshonoré ! – Hélas ! soupira Guenièvre, voilà précisément ce qui tant me tourmente : savoir que tu devais partir et ne pas vouloir que tu partes ! – Je t’assure, reine, que, si Dieu le veut, je reviendrai plus tôt que tu ne penses. – Ah ! misère de ma vie ! reprit Guenièvre, mon cœur ne me l’assure pas. Au contraire, il me jette dans des alarmes telles que jamais femme n’en éprouva pour un homme ! »
Et la reine se mit à verser des torrents de larmes. Ne sachant plus que faire ni que dire, Lancelot saisit les mains de Guenièvre et les couvrit de baisers. « Douce dame, dit-il enfin, je ne m’en irai qu’à condition que tu me le permettes. » Guenièvre le regarda avec tendresse. « Lancelot, dit-elle, si je n’écoutais que mon cœur, jamais je ne t’accorderais l’autorisation de partir. Mais, je le sais trop, tu ne pourrais plus vivre si tu devais renier ton serment. Tu partiras donc, j’y souscris, mais je te place sous la protection de celui qui subit tourments et souffrances pour sauver le lignage humain de la mort éternelle. Qu’il te protège et te sauve en tous lieux, Lancelot. Pars, maintenant, et ne regarde pas en arrière. »
Le cœur lourd, Lancelot quitta la chambre de Guenièvre et alla rejoindre ses compagnons qui étaient déjà à cheval et qui commençaient à s’impatienter, car ils n’attendaient que lui pour partir. À son tour, il sauta en selle, et le roi Arthur, qui montait un magnifique palefroi blanc, donna le signal du départ, car il leur faisait un bout de conduite, voulant leur tenir compagnie le plus qu’il pourrait. Ils traversèrent les rues de la forteresse et se retrouvèrent dans la grande prairie. De tous ceux qui demeuraient à l’intérieur, il n’en était pas un qui ne pleurât à chaudes larmes. Alors que ceux qui partaient ne montraient aucune tristesse, aucun regret, tant la pensée de découvrir les grands mystères du Graal s’était déjà emparée de leur être.
Après qu’ils furent arrivés dans la grande forêt et qu’ils y eurent chevauché durant plusieurs heures, ils s’arrêtèrent au pied d’une croix dressée à un carrefour. « Mon oncle, dit alors Gauvain au roi Arthur, il me semble que tu nous as accompagnés assez loin. Il convient que tu t’en retournes maintenant vers Kamaalot, car tu ne saurais être des nôtres. – C’est juste, répondit le roi, mais le retour sera plus pénible que l’aller, et c’est avec un vif regret que je vous quitte. Il le faut, pourtant, dussé-je en être désolé. » Gauvain retira son heaume, les autres l’imitèrent, et le roi donna l’accolade à tous ses barons l’un après l’autre, sans en oublier aucun. Quand ils eurent relacé leurs heaumes, ils se recommandèrent mutuellement à Dieu en versant d’abondantes larmes. Puis ils se séparèrent. Le roi reprit la direction de Kamaalot, et les compagnons
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