Galaad et le Roi Pêcheur
plaignait à grands cris, manifestait un désespoir extrême, et l’excès de larmes lui avait rougi les yeux.
Dès qu’il aperçut l’intrus, le lépreux se leva et s’empara d’une grande massue qui se trouvait au sol, non loin du lit. Or Girflet fut saisi d’effroi en le voyant si monstrueux, car l’homme était au moins aussi haut qu’une lance, et ses épaules mesuraient largement deux brasses. Il avait des bras énormes, les mains boursouflées, des dents crochues rousses, vénéneuses, puantes et toutes déchaussées, le visage couvert de bosses, les paupières dépourvues de cils, dures et enflées, les prunelles obscures, le regard trouble. Ses gencives se retroussaient, bleuâtres, épaisses et gonflées, et l’ensemble de sa figure cramoisie flamboyait comme charbons ardents. Il ahanait et parlait d’un timbre si enroué qu’on pouvait à peine l’entendre. « Qui t’a amené ici ? demanda-t-il d’un ton furieux. Es-tu venu te constituer prisonnier ? » Girflet répondit que non. « Dans ce cas, pourquoi es-tu entré ici ? Que cherches-tu ? – Un lépreux qui, sous mes yeux, a franchi ce seuil avec un enfant que sa mère m’a supplié de lui rendre, pour l’amour de Dieu. – Eh bien ! répliqua l’autre, c’est ta mauvaise étoile qui t’a conduit dans cette maison, car tu n’en sortiras pas vivant, espèce de rustre, fou insolent ! »
Il brandit alors sa massue et en frappa si rudement le bouclier de Girflet qu’il l’envoya voler de l’autre côté de la chambre. Mais lorsqu’il prétendit porter un second coup, Girflet, qui s’était ressaisi, recula vers le fond de la pièce, et la massue heurta le sol avec tant de violence que toute la maison en trembla. Girflet bondit alors sus au lépreux et, rassemblant ses forces et son courage, lui assena un coup d’épée si bien ajusté qu’il lui trancha un pan de sa tunique, la chemise, la ceinture, un bon bout des braies et le gras de la hanche. Après quoi, la lame poursuivit sa course avec tant d’élan qu’elle s’enfonça dans le sol de la profondeur d’une main. Sa blessure décupla la fureur du lépreux qui se relança à l’attaque ; mais Girflet s’abrita au plus vite derrière un pilier, tandis que la jeune fille, à genoux, implorait l’aide de Dieu.
Là-dessus, le fils de Dôn se jeta sur son adversaire et, avant que celui-ci n’eût le temps de parer, lui assena une si formidable estocade au bras droit qu’il le lui trancha bel et bien et le sépara de l’épaule. À ce spectacle affreux, le lépreux poussa un hurlement terrible, et, ivre de douleur, marcha sur Girflet, le visage écumant de rage et de haine et, maniant sa massue de la main gauche, l’en frappa à la tête si violemment que le chevalier tomba sur les genoux, le sang lui giclant par la bouche et par les narines. Cependant, l’arme formidable, poursuivant sa trajectoire, explosa littéralement en heurtant le sol. Alors Girflet se redressa et, avec l’énergie du désespoir, fendit jusqu’aux dents le crâne du lépreux, lequel, entre-temps, lui avait décoché une ruade si furieuse qu’elle le plaqua brutalement contre le mur, à l’autre bout de la pièce. Assommé par le choc, Girflet tomba et cessa de bouger. La jeune fille, affolée de le voir inerte, le crut mort et, s’inclinant sur lui, lui délaça son heaume. Or, sitôt le visage à l’air, Girflet poussa un soupir, et la jeune fille, courant chercher de l’eau, l’en aspergea. Alors, il se leva brusquement et, croyant tenir son épée, frappa la jeune fille d’un tel coup près de l’oreille qu’elle s’écroula à son tour. Il ne savait plus ce qu’il faisait. À demi inconscient, il alla se réfugier derrière un pilier et, son bouclier toujours au poing, s’y adossa, haletant.
La jeune fille s’était relevée sans trop de mal. Elle s’approcha de Girflet et lui dit doucement : « Seigneur chevalier, c’est moi qui te parle, regarde, moi que tu as délivrée de l’horrible monstre qui me violentait. Tu peux désormais retirer ce bouclier de ta poitrine, le lépreux est mort. Tu n’as plus rien à craindre de lui. » Mais Girflet, sentant sa tête désarmée, répondit : « Jeune fille, qui donc m’a ôté mon heaume ? et qu’est devenue ma bonne épée ? » Elle dut lui expliquer ce qui s’était passé, car il ne se souvenait plus de rien. Elle alla lui chercher son épée et il la serra convulsivement. Puis, comme ses esprits lui
Weitere Kostenlose Bücher