Galaad et le Roi Pêcheur
arracha du corps. Ayant ainsi précipité l’homme à bas du cheval, il mit pied à terre. L’autre gémissait et criait grâce. « Par Dieu tout-puissant, répondit-il, jamais je n’aurai pitié d’un monstre tel que toi ! » Et, de son épée, il lui trancha froidement les deux pieds.
Le jour s’était levé. Sur le flanc de la montagne, Girflet aperçut un grand édifice sombre et s’en approcha. Les murs en étaient percés de fenêtres toutes grillagées ; la porte était munie d’une herse. Derrière celle-ci se tenait un nain qui semblait terrifié. Girflet lui ordonna d’ouvrir, lui dit que son maître avait été vaincu, et le nain s’exécuta, tremblant de tous ses membres. Alors, le fils de Dôn lui fit ouvrir les geôles dans lesquelles se morfondaient vingt-cinq chevaliers captifs et en piteux état. Ils ne manifestèrent leur joie qu’en pleurant. Ils ne savaient comment exprimer leur gratitude à leur sauveur. Girflet leur fit donner à boire et à manger, puis les invita à se rendre à la cour du roi Arthur en compagnie du nain. En passant devant le sergent qui gisait immobile, sans pieds ni bras, sur le chemin, tous crièrent en chœur : « Par Dieu tout-puissant ! il est juste que tu restes là sans secours ! Tu as bien mérité ton sort, et personne n’aurait l’audace de te plaindre. » Et tandis qu’ils se dirigeaient vers Kamaalot, Girflet passa de l’autre côté de la montagne.
Il chevaucha jusqu’à l’heure de midi où se leva une chaleur terrible qui fatigua si vite son cheval qu’il dut le remettre au pas. Et il allait ainsi, à très faible allure, quand il vit venir un écuyer bel et bien fait dont la tunique était déchirée jusqu’au-dessous de la ceinture et qui manifestait une extrême douleur : des deux mains, il s’arrachait les cheveux, lesquels étaient blonds et fins ; il se frappait et s’égratignait le visage au point que le sang en découlait jusque sur sa poitrine. Or, dès qu’il aperçut Girflet, il s’écria : « Vaillant chevalier ! sauve ta vie et fuis aussi vite que tu pourras ! – Pourquoi donc ? demanda le fils de Dôn. Dis-moi plutôt ce qui te cause telle douleur ? – Seigneur, je ne saurais te décrire l’homme qui m’a si fort effrayé. Il a tué mon bon seigneur, un chevalier très vaillant pourtant, qui menait avec lui une charmante jeune fille, belle et gracieuse, de très haut parage, puisqu’elle est la fille d’un puissant comte. Le monstre l’a enlevée contre son gré et m’a moi-même tellement épouvanté que j’en tremble encore. – Et c’est pour cela que tu me conseillais de fuir ? s’exclama Girflet. Tu n’es qu’un pauvre sot, en vérité ! »
Comme ils parlaient ainsi, un lépreux surgit, un enfant dans ses bras. Derrière courait une femme qui criait, pleurait, gémissait, s’arrachait les cheveux. Elle alla tout droit à Girflet : « Chevalier, par Dieu tout-puissant, je te crie merci ! Secours-moi et rends-moi vivant mon enfant que le lépreux emporte. Il l’a ravi devant ma porte ! – Et pour quelle raison l’a-t-il enlevé ? – Pour rien, pour le seul plaisir de faire le mal ! – Dans ce cas, dit Girflet, puisque le lépreux est dans son tort, je me charge de te rendre l’enfant, et cela sans tarder ! »
Il éperonna son cheval et se précipita vers le lépreux, tandis que la femme se lançait elle-même sur ses talons. « Traître ! s’écria Girflet, lépreux insensé ! rustre insupportable ! tu n’emporteras pas cet enfant ! » Le lépreux se retourna et, lui tirant la langue : « Tu le veux ? Viens le prendre ! – Sur ma tête ! s’emporta Girflet, tu me paieras ta grossièreté, lépreux infâme et puant ! Si je le peux, je t’ôterai la vie ! »
Le lépreux était cependant parvenu devant une maison où il entra, suivi de près par le fils de Dôn qui, sitôt à la porte, sauta à terre. La femme, toujours en pleurs et criant : « Dieu nous aide ! », le rejoignit là, et il la pria de garder son cheval et sa lance en attendant qu’il revînt. Il pénétra alors, l’épée à la main et le bouclier au bras, dans la maison, qui était grande et belle, et y découvrit un autre lépreux, d’aspect farouche et terrible, qui, couché sur un lit, tenait embrassée une jeune fille, la plus belle du monde, avec un teint plus frais que rose à peine éclose et dont la tunique déchirée révélait des seins plus blancs que neige. Elle se
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