Galaad et le Roi Pêcheur
servantes, toutes plus belles les unes que les autres. Mais la maîtresse l’emportait vraiment sur elles par une beauté à nulle autre comparable. Elle était plus fraîche et plus blanche que la fleur de lys. Sa bouche était si gracieuse qu’à seulement la regarder, l’on croyait l’entendre toujours réclamer des baisers. Et cependant, elle eût encore été plus belle si les dernières sept années ne l’eussent plongée dans la tristesse et le souci, lui faisant perdre toute allégresse. Chaque jour, il lui fallait à quatre reprises gémir et manifester sa douleur. Chaque nuit, elle se levait trois fois et pleurait jusqu’à épuisement. Puis, se mettant à sa fenêtre, elle écoutait chanter les oiseaux du verger. Alors, au bout d’un long moment, cette musique la calmait. Mais elle ne se rendormait que pour se réveiller à nouveau chagrine et, sitôt debout, gémir et pleurer. Et tous, dans le manoir, en entendant les plaintes de la belle Brunissen, se lamentaient et gémissaient à l’unisson.
Ayant mis pied à terre devant le verger, Girflet y entra par une porte grande, belle et bien ouvragée qui s’ouvrait dans le mur. Il ôta le frein à son cheval et le laissa paître à volonté la belle herbe nouvelle qui ranimerait ses forces et le rafraîchirait. Puis, il se couvrit la tête avec son bouclier et dès lors ni bruit ni tapage n’eussent pu l’empêcher de s’endormir, après l’excès de peines et de fatigues qu’il avait endurées.
Cependant, Brunissen s’entretenait avec quelques chevaliers, ses familiers qu’elle avait retenus, ce soir-là, après le souper. Quand fut venue l’heure d’aller se coucher, elle leur donna congé et ils quittèrent la tour. Quant à elle, rentrant dans sa chambre, elle s’en vint à la fenêtre pensant que, comme toutes les nuits, le chant des oiseaux charmerait l’heure de son sommeil. Or, elle n’entendit rien et, persuadée qu’une bête entrée dans le verger, ou bien quelque chevalier étranger, effrayait les oiseaux, elle fut si contrariée qu’elle envoya en hâte une servante chercher son sénéchal.
Celui-ci se présenta immédiatement et demanda : « Dame, que se passe-t-il ? – Il me traite bien mal, répondit-elle, celui qui est entré dans mon verger ! Il a effrayé les oiseaux et, par sa faute, voici qu’ils ont cessé de chanter. Il me sera bien difficile de me reposer ! » {22} Et elle lui ordonna d’aller voir quel était l’intrus et, s’il s’agissait d’un homme, de le faire prisonnier ou de le tuer. Le sénéchal manda deux écuyers qui portaient chacun une grande torche et, avec eux, il s’empressa de se rendre sur place.
Une fois là, ils ne tardèrent guère à découvrir Girflet endormi, la tête sous son bouclier. Le sénéchal le somma haut et fort de se lever immédiatement, mais Girflet n’entendit rien. L’autre le poussa et le secoua en disant : « Lève-toi tout de suite, ou bien je te tue ! » Girflet se réveilla alors, se redressa et répondit poliment : « Seigneur, au nom de Dieu, n’en fais rien ! Je ne te demande rien d’autre que de me laisser dormir en paix. – Tu ne dormiras pas plus longtemps ici ! s’écria le sénéchal. Tu vas me suivre et venir te présenter devant ma dame, que cela te plaise ou non. Car elle ne saurait avoir de joie au cœur qu’elle n’ait tiré vengeance de toi, pour être entré dans son verger ! En effrayant ses oiseaux, tu lui as ôté sommeil et repos. – Dieu me garde ! rétorqua Girflet, tu ne m’y conduiras pas sans bataille, à moins d’attendre que j’aie mon compte de sommeil ! »
Voyant que le chevalier inconnu cherchait la bataille et la réclamait, le sénéchal envoya quérir ses armes. Quant à Girflet, il se rendormit. Quand le sénéchal se fut équipé, il cria : « Debout, combattant ! Tu as devant toi un chevalier qui te défie ! » Mais Girflet dormait toujours profondément. Le sénéchal le secoua et le poussa rudement jusqu’à ce qu’il l’eût réveillé. Blessé par cette absence d’égards, Girflet se leva. « Tu me fais grand tort en m’empêchant de dormir, dit-il. Je puis à peine me soutenir, tant j’ai sommeil et tant m’a brisé la fatigue. Mais puisque, je le vois, tu es décidé à te battre, me laisseras-tu dormir si je parviens à te désarçonner ? – Certes, répondit le sénéchal, je m’y engage. Mais je n’ai aucune crainte à ce sujet. Je saurai bien t’amener devant ma
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