Galaad et le Roi Pêcheur
dame. »
En un tournemain, Girflet courut à son cheval, le sangla, s’arma, sauta en selle, et il se précipitait avec fougue à l’endroit où l’attendait son adversaire quand celui-ci, accourant lui-même à bride abattue, le frappa rudement sans parvenir pourtant à le renverser ni même à l’ébranler. En revanche, le fils de Dôn lui porta en retour un coup si vigoureux qu’il le projeta à terre : « Désormais, s’exclama-t-il, laisse-moi dormir. Tu t’y es engagé, je te le rappelle. » Et, sans attendre de réponse, il mit pied à terre, délaça son heaume, s’allongea derechef, la tête couverte de son bouclier, et s’endormit immédiatement.
Honteux et furieux, le sénéchal s’en revint donc bredouille au manoir. « Qu’as-tu donc trouvé dans le verger ? » lui demanda Brunissen, et lui, d’un ton piteux, raconta sa mésaventure, ce qui empourpra Brunissen de colère. « Puisqu’il en est ainsi, s’emporta-t-elle, et qu’il se moque de moi, envoie des sergents s’emparer de lui comme d’un vulgaire voleur ! Sur ma foi, je ne mangerai ni ne prendrai de repos que je ne l’aie vu pendu ! Qu’on me le ramène par tous les moyens ! »
Le sénéchal fit rassembler les chevaliers, leur expliqua ce qu’attendait d’eux leur dame et, sans plus attendre, tous descendirent au verger, cernèrent Girflet profondément endormi et, sans rien lui demander, l’attrapèrent à qui mieux mieux, qui aux jambes, aux bras, qui aux cuisses, aux flancs, qui aux épaules, tant et si bien qu’il se réveilla en sursaut et, se voyant prisonnier, s’écria : « Seigneurs, par Dieu tout-puissant, arrêtez ! Qui êtes-vous donc ? Pourquoi vous être emparés de moi par surprise ? Que vous ai-je fait ? Êtes-vous des diables ? Oui, vous en êtes, assurément ! Ou bien des revenants privés du repos éternel, pour errer dehors à pareille heure ! Par Dieu et par la Vierge, retournez à vos affaires et laissez-moi dormir tout mon saoul ! »
Sans souffler mot, les chevaliers l’emportèrent ainsi, tout armé, jusque dans la chambre de Brunissen qui leur ordonna de le lâcher. Tout abasourdi, il se releva, redressa sa taille. Grand, bien bâti, richement revêtu de son haubert, il avait si fière allure que Brunissen le contempla longuement avant de lui demander : « Est-ce toi qui m’as causé cette nuit tant de tourment et tant de misère ? – Par ma foi, répondit Girflet, dame, il ne me viendrait pas à l’esprit de te vouloir le moindre mal. Je t’affirme au contraire que si quelqu’un t’en faisait, moi, je te défendrais alors de tout mon pouvoir ! – Cependant, reprit-elle, n’es-tu pas entré dans mon verger et n’y as-tu pas renversé mon sénéchal qui te demandait seulement des explications ? – Tu dis vrai, dame, mais pouvais-je agir autrement ? Il refusait de me laisser dormir. – Par tous les saints du monde ! s’enflamma Brunissen, une fois passé par mes mains, tu ne seras plus en état de me maltraiter ! Dieu me garde mais, sur ma foi ! tu feras un superbe pendu ou un magnifique estropié, car je n’attendrai certes pas demain pour me venger de toi de manière exemplaire ! »
En l’entendant parler ainsi, Girflet comprit enfin qu’elle était furieuse et, se mettant à la regarder, il fut stupéfié par la splendeur de son front, de son col et de son visage, par le ton vermeil de ses lèvres et la profondeur de ses yeux. Alors, du fond de lui-même, il ne put s’empêcher d’éprouver un violent amour pour cette belle qui le menaçait des pires tourments. Et plus elle manifestait de colère, plus il avait envie, lui, de la prendre entre ses bras. Cependant, Brunissen ordonna à ses chevaliers de l’emmener. « Qu’on le pende ou qu’on le tue, dit-elle, mais qu’on le fasse périr d’une mort capable de soulager mon cœur !
— Dame, intervint Girflet, tu peux faire de moi tout ce qu’il te plaira, car en ta chemise, et sans autre armure, tu m’aurais plus vite conquis que ne feraient cent chevaliers tout équipés tant sont bonnes mes dispositions envers toi ! Et si je t’ai causé, à mon insu, quelque tourment, quelque déplaisir, tires-en vengeance toi-même, car je ne prendrai ni épée, ni bouclier, ni lance pour défendre ma cause et t’empêcher d’agir selon ton plaisir ! »
En l’entendant s’exprimer avec tant de courtoisie et d’ingéniosité, Brunissen sentit s’apaiser sa colère. Elle ne pouvait
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