Galaad et le Roi Pêcheur
aurait bientôt le dessous. Or, tout à coup, la clameur cessa, et aussitôt les chevaliers et les sergents présents dans la salle abandonnèrent leur victime et reprirent leurs postes. « Désormais, dit l’un d’eux, nous n’avons plus à craindre qu’il s’enfuie : il ne respire ni ne bouge. Nous pouvons dormir tranquilles et nous dispenser de veiller. »
En entendant ces mots, Girflet n’eut garde de remuer, car il avait peur de réveiller la folie meurtrière de ses gardiens. Pourquoi s’étaient-ils donc rués sur lui dès qu’il leur avait demandé la cause de leurs pleurs et de leurs lamentations ? « Hélas ! se dit-il, jamais, je crois, je ne pourrai sortir d’ici et, aussi sûr que Dieu existe, j’y perdrai la vie ». Or, peu à peu, la perspective de devoir rester dans ce manoir lui devint plus agréable, car il revoyait en esprit la beauté et la fraîcheur de la dame devant qui on l’avait conduit. « Si je ne sais qui elle est, du moins sais-je que mon cœur est tout empli d’elle ! Après tout, il ne serait pas déplaisant de demeurer toujours en sa compagnie. Mais quel fou je fais, à remuer semblables pensées ! Comment pourrait-elle m’aimer, moi qui lui ai causé, sans le vouloir, un tort qu’elle ne me pardonnera jamais ? Ne suis-je pas d’ailleurs engagé dans une quête que j’ai juré de poursuivre jusqu’à son terme ? » Le fils de Dôn en éprouvait une immense détresse, et les coups qu’il venait d’essuyer l’empêchèrent moins, peut-être, de retomber dans son lourd sommeil que les réflexions amères que lui inspirait la dame…
Il était tout juste minuit quand le veilleur de la tour poussa un nouvel appel et, aussitôt, tous les gens du manoir se réveillèrent et, se levant comme un seul homme sans se concerter ni s’attendre mutuellement, se mirent à crier et à manifester autant de douleur que si chacun eût à l’instant découvert son père mort. Brunissen et ses suivantes n’étaient pas les moins bruyantes à se lamenter, quoique, dans la salle où se trouvait Girflet, les chevaliers et les sergents menassent eux-mêmes un deuil fracassant. Cette fois, cependant, le captif n’eut garde de bouger ou de poser la moindre question. Feignant d’être évanoui sur sa couche, il se contenta d’observer, de dessous ses paupières à demi closes, ce qui se passait tout autour. Il voyait chacun se tordre les mains et les doigts, se frapper la tête contre les murs, se laisser choir au sol avec frénésie. « Sur ma tête ! se dit-il, il ne fait pas bon séjourner ici ! Si Dieu consent que j’en réchappe et parvienne à sortir de ces lieux, j’aimerais mieux me laisser transpercer de dix coups de lance et tailler en pièces que de retomber jamais au pouvoir de ces gens-là ! Ce ne sont pas des hommes, mais des diables surgis de l’enfer, ceux qui mènent pareil sabbat durant les heures où repose le monde entier ! Dieu fasse qu’ils ne me trouvent pas ici demain ! »
Or, la clameur s’interrompit brusquement, et lorsque tout fut apaisé, que l’on n’entendit plus retentir une seule plainte, les chevaliers et les sergents revinrent s’allonger autour du lit, et, tout vêtus et chaussés, s’endormirent instantanément. Cependant, de couloir en couloir, rôdait Brunissen incapable de dormir ou même de se reposer, tant la tenaillait l’angoisse : comment pourrait-elle se faire aimer de ce chevalier inconnu ? Elle s’avouait en elle-même que l’or, l’argent ni les richesses n’avaient de valeur comparés à lui. Jamais encore elle n’avait rencontré de chevalier qui séduisît si fort son cœur, et l’amour la tourmentait cruellement. Elle en venait à penser qu’elle ne pourrait pas même attendre l’aube avant de l’aller rejoindre et puis, s’accusant de démence, elle se mettait à pleurer, et les larmes ne servaient qu’à l’embraser d’un désir accru.
Girflet, lui, se préoccupait de bien autre chose : comment se tirer de là, se demandait-il d’un cœur dévoré d’anxiété ? Aussitôt qu’il vit les chevaliers et les sergents profondément endormis, il se mit sur son séant. Aucun de ses gardiens n’ayant bougé, il se leva et aperçut sa lance et son bouclier suspendus au mur. Il alla les décrocher sans bruit et sortit de la salle. Parvenu dans le verger, il trouva son cheval tel qu’il l’avait laissé. Il n’y manquait ni frein ni selle. Il l’enfourcha bien doucement et, quittant le
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