Galaad et le Roi Pêcheur
lance magique que mon seigneur en est resté estropié à jamais d’une plaie qui ne saurait guérir avant que Taulat n’ait été vaincu par un chevalier assez audacieux et courageux pour le défier. – Je serai celui-là, je te le promets ! s’écria Girflet, ou j’y perdrai la vie !
— Tu ignores, hélas, soupira la vieille femme, que Taulat sera invincible aussi longtemps que l’on ne sera pas venu à bout de ses protecteurs, à savoir des magiciens puissants contre lesquels sont vaines les armes humaines. Pour atteindre Taulat de Rougemont, il te faudrait tuer un enchanteur et un géant, puis passer outre à la colère de la mère du géant. Or, c’est une redoutable sorcière que l’Ennemi a envoyée parmi nous pour nous punir de notre orgueil et de nos péchés. – Je tuerai ces monstres ! affirma Girflet. – Ce n’est pas tout, reprit la femme. Non content d’avoir ainsi blessé le roi, mon seigneur, Taulat l’a enfermé dans cette forteresse et la fait garder par ses chevaliers. Cela fera sept ans à la Saint-Jean d’été que dure cette captivité. Et, chaque mois que Dieu fait, Taulat vient lâchement martyriser mon maître. – Comment cela ? – Je vais t’expliquer. Chaque mois, les plaies de mon seigneur se referment, et il éprouve un grand soulagement pendant toute la période de la lune noire. Alors, Taulat vient ici, le fait lier par ses valets, puis l’oblige à gravir la montagne en le fouettant avec des lanières. Quand mon seigneur parvient au sommet, ses plaies sont rouvertes, et il ne peut même plus marcher, tant il est affaibli et épuisé. Alors, nous sommes obligés de le ramener nous-mêmes ici et de le coucher dans son lit. Voilà dans quel tourment se passe sa vie, et ce depuis sept années. »
En entendant cela, le fils de Dôn se mit en colère. « Par Dieu tout-puissant ! s’écria-t-il, quel terrible destin ! Je m’étonne que ton seigneur puisse supporter pareil traitement. Et ces gens qui campent dehors, qui sont-ils ? – Seigneur, je ne te mentirai en rien. Ce sont là des chevaliers prisonniers de Taulat. Il les a tous vaincus en combat singulier, car, je te le répète, il est protégé par des magiciens. Il n’en est aucun qui ne soit maître de trois ou quatre forteresses. Ils étaient venus combattre Taulat et mettre ainsi fin aux souffrances de mon seigneur. Hélas ! nul d’entre eux n’y est parvenu, et ils sont tous obligés de garder cette forteresse sous peine de perdre la vie. – Quand donc Taulat reviendra-t-il ici ? demanda Girflet. – D’aujourd’hui en huit. Il torture, je te l’ai dit, mon seigneur au moment de la nouvelle lune. Si tu veux vraiment le combattre, présente-toi donc dans huit jours, mais n’oublie pas que ce sera au péril de ta vie et que, si tu n’es pas tué, tu te retrouveras prisonnier du camp installé devant la forteresse. – Dame, répliqua Girflet, j’espère bien le trouver d’ici là et lui faire payer très cher sa cruauté ! Où pourrais-je le rejoindre ? – Personne ne sait où il habite, répondit la vieille femme. Mais son logis doit se trouver dans les parages. Si tu veux en savoir davantage, il te faut retourner d’où tu viens, car, sauf à vouloir mourir, personne ici n’oserait te faire la moindre confidence là-dessus. Les magiciens qui protègent Taulat lui révéleraient aussitôt le nom de l’indiscret, et il le ferait périr.
— Puisqu’il en est ainsi, dame, je vais m’en retourner d’où je viens. Mais avant de partir, je voudrais bien savoir ce qu’il en est de la coupe d’où émane une grande lumière, et de la Lance dont la pointe dégoutte de sang. – La lance doit être celle de Taulat. Je t’ai prévenu qu’elle était magique. Quant à la coupe dont tu me parles, j’ignore de quoi il s’agit. – Un dernier mot, s’il te plaît, reprit le fils de Dôn : veuille m’expliquer pourquoi les gens de ce pays poussent de telles clameurs à certaines heures du jour et de la nuit, et pourquoi ils prennent sur ce chapitre la moindre question comme une injure mortelle.
— Pour agir ainsi, ils ont un excellent motif, répondit la femme, c’est que le blessé qui gît sur cette couche est leur seigneur légitime. Il s’est toujours montré loyal à leur endroit, si bon, si courtois qu’ils sont tous si profondément attristés de son sort qu’ils ne peuvent faire autrement que crier et se lamenter. Ils se savent au surplus obligés à le faire aussi
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