Galaad et le Roi Pêcheur
ventre avec ma lance ! » Au même instant, il aperçut celle-ci sur le sol, intacte et nullement maculée de sang. Il s’en saisit mais, comprenant que le chevalier noir réapparaissait chaque fois que lui-même remontait en selle, il décida d’aller à pied jusqu’à la chapelle, tenant sa lance sous le bras et menant son cheval par la bride. Lors, reparut le chevalier noir, démonté, mais courant comme un forcené. Girflet posa sa lance à terre et tira son épée. Comme la nuit commençait à tomber, il voyait à peine son adversaire, mais il persista, saisi d’une étrange fureur. En se choquant, les armes lançaient des éclairs, et la bataille se prolongea bien avant dans la nuit sans que des deux adversaires aucun pût avoir le dessus.
L’ermite qui, depuis la chapelle, écoutait le bruit du combat, finit cependant par se résoudre à intervenir. Il sortit du sanctuaire avec son étole et de l’eau bénite dont il aspergea les combattants. Alors, le chevalier noir poussa un cri horrible et prit la fuite sans se retourner, tandis qu’une violente tempête se déchaînait, soulevant la poussière, tordant les arbres parmi d’épouvantables roulements de tonnerre. Une fois le calme revenu, Girflet s’approcha de l’ermite qui l’invita à entrer chez lui. Sans se faire autrement prier, il attacha son cheval à un arbre, se désarma et rejoignit le saint homme. Celui-ci lui demanda qui il était. « Seigneur, répondit Girflet, je suis de la compagnie du roi Arthur et je me suis engagé dans la quête du saint Graal. – Certes, dit l’ermite, c’est très louable de ta part, mais tu ne le trouveras pas de ce côté-ci. Il me semble que tu t’es grandement égaré depuis ton départ.
— Il se peut, admit Girflet, mais je voudrais bien que tu me dises ce que tu sais du chevalier noir si habile au combat dont j’ai dû soutenir l’assaut. – Mon ami, ce n’est pas difficile : il n’est ni un chevalier, malgré les apparences, ni même un homme, mais le plus méchant des démons qui ait sa résidence en enfer. C’est par magie et nécromancie que la mère d’un géant, une grande vieille farouche, maigre, sèche et ridée, l’a mandé ici. – Une grande vieille ? dit Girflet, je l’ai rencontrée ! Je n’avais jamais vu d’être aussi laid ! – Certes, approuva l’ermite. Eh bien, sache que cette femme avait un mari, un méchant rustre de géant qui, jadis, ravagea si parfaitement le pays qu’on n’y trouve plus rien que bois, buissons, ronces et mauvais chemins. Tout y est en si piteux état que les habitants se sont enfuis vers d’autres régions, ne pouvant davantage supporter les exactions du géant, car sa malice n’épargnait personne. Or, un jour qu’il était parti en expédition je ne sais où, il revint si grièvement blessé qu’il mourut au bout de trois jours.
« Voyant son mari mort, la vieille eut grand peur pour elle-même et pour ses deux fils, encore petits, craignant qu’on les lui prît et qu’on les fît périr. Alors, par ses enchantements, elle a fait venir cette créature du diable qui interdit le passage et barre le chemin. Personne n’a pu aller au-delà de cette limite, et tu n’as pu le faire que parce que je suis intervenu avec les seules armes capables de faire reculer ce démon : les armes de Jésus-Christ. Tu as eu la chance de le combattre près de mon ermitage, car si la bataille avait eu lieu ailleurs, je ne l’aurais pas entendue et n’aurais pu t’aider.
« Ce démon prenait en effet toujours soin de se tenir loin de mon ermitage, et la confusion seule du combat l’a forcé à s’en approcher. Il évitait ma présence, se sachant pertinemment impuissant contre moi : les armes de Jésus-Christ qui sont ici m’ont si bien protégé qu’aucune créature, ennemi, bête ou géant, n’a pu me nuire, et ce depuis plus de vingt-quatre ans. Par malheur, je ne pouvais moi-même agir contre lui, et il continuait de la sorte à interdire le passage à tous ceux qui se présentaient : rien au monde ne pouvait faire qu’un homme né de mère pût l’emprunter, et toi non plus tu n’y serais pas parvenu. À présent, ne crains rien : jamais plus ce démon ne reviendra, car les armes de Jésus-Christ sont telles qu’aucune puissance démoniaque ne peut leur résister.
« Sache encore ceci : la vieille que tu as vue a fait alliance avec un chevalier cruel nommé Taulat de Rougemont. C’est pour empêcher toute intrusion
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