Galaad et le Roi Pêcheur
longtemps que Dieu n’aura pas permis la guérison complète de leur seigneur. Mais que l’un d’eux entende seulement évoquer ce malheur, et il en éprouve une telle douleur qu’il ne peut plus se contenir et que, s’agît-il de son frère, il aurait envie de tuer l’impudent. Voilà la vérité, la vérité vraie. – Dame, dit Girflet, je te remercie, et je te donne ma foi de loyal chevalier que ton seigneur sera bientôt délivré de ses tourments. » Là-dessus, il la recommanda à Dieu et sortit de la salle, reprit ses armes et bondit en selle. Il eut tôt fait de traverser le camp en sens inverse et de retrouver la forêt, du côté du manoir où Augier d’Essart l’avait reçu avec tant de courtoisie.
Il suivait un sentier en agitant de tristes pensées quand il vit, couchée sous un pin, une vieille femme velue et ridée, maigre et plus sèche que bois à brûler. Sans même daigner bouger en l’entendant venir, elle se contenta de relever imperceptiblement la tête qu’elle avait aussi grosse qu’une cruche. Mais ses yeux, pas plus grands qu’un denier, étaient chassieux, cernés de bleu et tout meurtris sous d’interminables cils. De sa bouche épaisse et lippue émergeaient de trois bons doigts des dents longues et rousses mais, malgré sa chevelure grise toute hérissée, elle n’avait pas l’air d’une mendiante, car elle était enveloppée d’un manteau d’écarlate orné d’hermine sous lequel on discernait une tunique de soie rouge sang et une chemise taillée dans une précieuse toile blanche. En l’abordant, Girflet la salua, non sans considérer avec attention son allure et sa laideur. Or, elle, loin de répondre à son salut, dit simplement : « Chevalier, que vas-tu faire par là ? Retourne d’où tu viens ! – Je ne m’arrêterai, répondit Girflet, que lorsque je saurai pourquoi je ne devrais pas poursuivre ma route. – Tu le sauras bien assez tôt, s’écria-t-elle d’une voix rauque. Ceux qui sont là-bas s’en chargeront. – Fort bien, je le saurai donc. Mais dis-moi au moins qui tu es. » La femme se dressa sur ses pieds en laissant tomber son manteau, et Girflet put voir qu’elle était aussi grande qu’une lance. « Sur ma tête ! s’écria-t-il, je n’ai jamais vu de créature plus étrange ! – Tu verras bien pire, si tu continues sur ce chemin ! » cria-t-elle encore.
Le fils de Dôn ne l’écoutait plus. Il avait repris sa route, quand il aperçut une chapelle où un ermite était en train de célébrer l’office. Comme il voulait mettre pied à terre et interroger l’ermite, il entendit un grand vacarme : un chevalier armé, noir comme du charbon, avec un cheval, une lance et un bouclier non moins noirs, fondit sur lui avec tant de violence qu’il le renversa à terre. Plein de honte et d’amertume, Girflet se releva, tira son épée et, se protégeant de son bouclier, marcha hardiment sur celui qui l’avait frappé. Mais il ne le vit plus : l’autre semblait s’être évaporé par enchantement. « Quelle aventure ! s’écria Girflet. Je ne rêve pourtant pas ! »
Il remonta sur son cheval mais, dès qu’il fut en selle, le chevalier resurgit près de lui, tout prêt à le frapper. Seulement Girflet, cette fois, se rua sur lui de toute la vitesse de son cheval. Ils se portèrent de tels coups qu’ils tombèrent tous deux à terre. Avec une grande souplesse, Girflet se releva bien vite et, l’épée à la main, s’élança ; mais son adversaire avait à nouveau disparu sans qu’il fût possible d’en découvrir la moindre trace. Le fils de Dôn sentit la fureur s’emparer de lui. « Dieu ! s’écria-t-il, ce chevalier s’est bien moqué de moi ! Où peut-il être à présent ? » Il regarda de tous côtés, puis revint à son cheval. Aussitôt l’autre réapparut, impétueux et farouche, sifflant, soufflant, menant aussi grand vacarme que la foudre tombant du ciel. Mais, cette fois, le fils de Dôn n’était pas décidé à se laisser faire : il prit les devants, la lance baissée et en décocha un tel coup qu’outre le bouclier de l’autre il lui transperça le corps avec la hampe. Le chevalier bascula à terre, mais Girflet eut beau se précipiter à bas de sa selle, il se retrouva seul : l’homme, encore une fois, avait disparu sans laisser deviner où diable il avait pu se réfugier.
« Sainte Marie ! s’écria le fils de Dôn, où est donc allé ce démon ? Je lui avais pourtant percé le
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