Galaad et le Roi Pêcheur
avoir salué une dernière fois son hôte et ses deux fils, s’engagea à vive allure sur le chemin qu’on lui avait indiqué.
Dans sa joie que le preux Augier d’Essart l’eût renseigné sur la demeure du roi blessé, il chemina plein de courage tout le jour jusqu’à heure où l’obscurité envahit la forêt et où, voyants un cheval bien las, il décida de s’arrêter dans une prairie. Il mit pied à terre, enleva le mors et la selle de son cheval et le laissa paître en abondance l’herbe fraîche. Cependant, la bête une fois rassasiée et réconfortée, il ne voulut pas s’attarder davantage et, remontant en selle, repartit à travers la nuit.
Le jour venait à peine de se lever qu’il aperçut la grande plaine, la montagne escarpée et la forteresse. Devant cette dernière foisonnaient effectivement tentes, cabanes et pavillons parmi lesquels commençaient à s’affairer une multitude de chevaliers. Sans leur prêter la moindre attention ni adresser la parole à quiconque, il traversa le camp. Cependant, les chevaliers murmuraient : « Voici un audacieux qui n’a guère pris de repos, manifestement. Quelle hâte il a de venir chercher son malheur ! Il a sûrement chevauché toute la nuit pour son tourment et sa fin. » Girflet les entendait mais sans trop comprendre leurs propos. Aussitôt entré dans la forteresse, il examina les entours et vit maintes maisons qui, à l’intérieur de l’enceinte, possédaient des salles hautes et bien construites d’aspect. Mais il ne s’y montrait personne, ni homme, ni femme, ni créature vivante. Il poursuivit son chemin et, tout en examinant les édifices successifs, parvint devant le plus vaste. Là, il mit pied à terre, attacha son cheval, posa sa lance et son bouclier contre le mur et entra par une porte qu’ornaient des fleurs sculptées, des peintures multicolores et une voûte des plus élégantes. À l’intérieur, il découvrit une grande salle au centre de laquelle était dressé un lit. Dessus gisait un homme et, devant, se tenaient deux femmes, l’une vieille et l’autre jeune, dont la contenance révélait un profond chagrin, car toutes deux, le visage enfoui au creux de leurs bras, ne cessaient de soupirer et de pleurer. Girflet se dirigea vers la plus âgée et la pria de bien vouloir venir à l’écart parler avec lui.
Elle se leva et le suivit dans un angle de la salle. « Chevalier, dit-elle, pour l’amour de Dieu et de sainte Marie, parle doucement, parce que mon seigneur, qui gît là blessé, n’a depuis bien longtemps connu ni plaisir ni joie. – Dame, répondit Girflet, je m’efforcerai de ne faire aucun bruit mais écoute-moi, je t’en prie : le noble Augier d’Essart m’envoie vers toi pour que tu me révèles ce qu’il en est du roi blessé et de la clameur qu’on entend sans cesse retentir par tout le pays. » La vieille femme poussa un profond soupir. « Je voudrais pouvoir te répondre, dit-elle, mai qui es-tu pour poser de telles questions ? – Je ne le cacherai pas je me nomme Girflet, et je suis fils de Dôn. J’appartiens aux compagnons que le roi Arthur a réunis autour de la Table Ronde. Et comme tous les chevaliers d’Arthur, j’ai entrepris la quête du saint Graal. » Cette déclaration fit verser à la vieille femme des torrents de larmes.
Une fois épuisés ses pleurs, elle finit cependant par dire : « Puisses-tu être celui que nous attendons ! Par Dieu tout-puissant, ce pays ploie sous le malheur depuis que Taulat de Rougemont exerce la plus cruelle des tyrannies. – Qui est donc ce Taulat de Rougemont ? demanda Girflet. – Hélas ! répondit la femme, un fléau que Dieu a envoyé en ce royaume afin de nous faire expier nos fautes. Taulat de Rougemont est un chevalier félon qui, par injustice et orgueil, a séparé bien des âmes de leur corps. Il a fait prisonniers et tué bien des chevaliers plus preux les uns que les autres. Il a plongé dans l’affliction bien des dames, et dans le chagrin bien des jeunes filles auxquelles il a ravi leur honneur. Il a fait orphelins bien des enfants et dépouillé de leurs domaines bien des gens. C’est encore lui qui a traité ignominieusement mon seigneur, que tu vois gisant dans ce lit, et qui est le roi légitime de ce pays. Il l’a, durant des mois, poursuivi de sa haine, lui dérobant d’abord une grande partie de ses terres, puis lui tuant la plupart de ses gens. Et, un jour, il l’a blessé si cruellement d’un coup de sa
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