Galaad et le Roi Pêcheur
renseigner sur un chevalier dont le bouclier porte une croix vermeille ? – Certainement, répondit l’autre. Si vous le cherchez, vous le trouverez demain au grand tournoi des Chevaliers. – Et en quel endroit, seigneur, repartit Gauvain, se tiendra ce tournoi ? – Dans la Lande Vermeille, au pied de la forteresse qui se trouve de l’autre côté de la forêt que vous voyez là-bas. De nombreux chevaliers s’y sont déjà rassemblés. C’est là que vous le trouverez, aussi sûr que le soleil brille. »
Gauvain et Hector le remercièrent et le virent, après avoir pris congé de lui, galoper vers la mer. « Sur ma foi ! s’écria Hector, ce chevalier est bien aimable ! Il me semble bien moins féroce qu’on nous l’a dit. – Oui, dit Gauvain, mais s’il fallait en croire le Chevalier Couard, les arbres eux-mêmes seraient féroces. En tout cas, nous n’avons plus qu’à nous rendre à la Lande Vermeille. » Et ils se remirent en marche vers la grande forêt qui moutonnait à l’horizon {36} .
Le tournoi était déjà engagé dans la Lande Vermeille quand y arrivèrent Hector et Gauvain. Ils tentèrent, au milieu des chevaliers qui se battaient, d’en repérer un dont le bouclier portât une croix vermeille, mais ils n’y purent parvenir. Emportés par le mouvement général, ils se trouvèrent engagés presque malgré eux et commencèrent à jouter sans trop savoir pour quel parti, tant étaient mêlés le groupe de chevaliers qui défendaient la forteresse et celui qui prétendait l’investir. Les assiégeants avaient en effet déjà tant fait par leur supériorité que les assiégés se débandaient dans le plus grand désordre.
Alors, débouchant du rivage assez proche, surgit un chevalier qui se lança au cœur de la mêlée. Ayant remarqué la fâcheuse posture des gens de la forteresse, il avait résolu de les appuyer et éperonné son destrier. De sa lance abaissée, il frappa le premier adversaire qu’il rencontra, le fit voler à terre et lui brisa sa lance. Puis, mettant la main à son épée, il se jeta au plus fort du combat et abattit tant de chevaux et tant de chevaliers, fit tant et si bien que tout le monde en béait d’admiration. Or, Gauvain et Hector, qui s’étaient rangés du côté des assiégeants, aperçurent le bouclier du champion : il portait une croix vermeille. « Voici le Bon Chevalier ! s’écria Gauvain. Bien fou celui qui l’attaquera, car contre son épée personne ne peut résister ! »
Au même instant, le Bon Chevalier rencontra par hasard Gauvain et le frappa si rudement qu’il lui fendit le heaume, la coiffe de fer et lui fit vider les arçons. Mais Galaad, emporté par son élan, atteignit aussi le cheval et l’abattit mort sous le neveu d’Arthur, avant de poursuivre le combat contre tous ceux qui croisaient sa route. De sorte qu’il eut tôt fait de renverser la situation des assiégés : ceux-ci reprenaient courage et vigueur au fur et à mesure que leurs ennemis s’enfuyaient pour se soustraire aux terribles coups que leur portait le Bon Chevalier. Or Galaad, après les avoir pourchassés longtemps et s’être assuré qu’ils ne reviendraient pas à la charge, disparut sans que personne sût par quel chemin il était passé. Mais la foule unanime le proclama sans conteste vainqueur du tournoi.
Cependant, Gauvain, qui se sentait blessé au point de se demander s’il en réchapperait, dit à Hector : « Ami, je sais maintenant à quoi m’en tenir sur tout cela. Voici réalisée la parole que, le jour de la Pentecôte à Kamaalot, j’ai entendue à propos de l’épée sur laquelle j’avais porté la main sans qu’elle me fût destinée. Il me fut annoncé qu’avant peu je recevrais un coup terrible, et c’est de cette épée que m’a frappé Galaad. Quoique je n’eusse fait qu’obéir au roi, j’avais commis là une faute que je paie aujourd’hui. – Ami, dit Hector, ta blessure est-elle donc si grave ? – Oui, répondit Gauvain. Je ne m’en tirerai, je le sais, que si Dieu me prête secours. » Hector se mit à se lamenter. « Qu’allons-nous faire ? dit-il. Puisque te voici si mal en point, je suppose que ta quête est terminée ? – La mienne, oui, certainement, répondit Gauvain, mais non la tienne, Hector. Pars, continue sans moi. – Jamais je ne t’abandonnerai ! » s’écria Hector, éclatant en sanglots.
Les chevaliers de la forteresse, qui s’étaient assemblés pour délibérer,
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