Galaad et le Roi Pêcheur
entendu ma prière et dirigé tes pas vers ce caveau. Maintenant, mon âme est sauvée, mon âme jadis vouée par le péché à la perdition. – Qui es-tu donc ? demanda Galaad.
— Quand j’étais sur terre, reprit la voix, on me nommait Symeu. J’étais le neveu de Joseph d’Arimathie, qui apporta le saint Graal en l’île de Bretagne. J’ai accompagné Joseph et son fils Josephé de mer en mer jusqu’en ce pays. Mais une très lourde faute m’a fait condamner à n’être ni tout à fait vivant ni tout à fait mort jusqu’au jour où viendrait l’un de mes descendants qu’on appellerait le Bon Chevalier. Un seul chevalier t’a précédé, mais il n’a pu mettre fin à mes souffrances. Il s’agissait de ton père, Lancelot du Lac, Galaad, mais c’est à toi qu’il appartenait de me délivrer car, sache-le, je suis l’un de tes ancêtres. Sois béni d’avoir ainsi sauvé mon âme. » Et la voix se tut. Tout retomba dans un silence profond. Alors Galaad parcourut en sens inverse le couloir obscur et remonta à la surface. L’ermite se tenait à genoux près de la dalle soulevée. Quand il vit Galaad, il se prosterna devant lui et lui baisa les mains. « Bon Chevalier, dit-il, c’est à toi que reviendra l’honneur de mettre fin aux aventures du saint Graal ! Tu es celui que nous attendions tous pour que la joie et le bonheur fussent restaurés en ce royaume. » {38}
Après avoir passé une bonne partie de la matinée auprès de l’ermite, Galaad se remit en selle et repartit, tout au long du rivage, dans l’attente que quelque signe vînt lui indiquer la direction qui le mènerait au but de la quête. Mais il ne vit personne ce jour-là, ni quelque indice que ce fût. Le soir le surprit aux abords d’une belle forteresse qui se dressait sur un promontoire quasiment cerné par la mer. Désireux d’y demander l’hospitalité, il franchit la poterne sans rencontrer garde ni sergent.
Le seigneur donnait en effet dans la salle de son manoir une grande fête à laquelle il avait convié l’ensemble de sa maisonnée. On avait déjà servi les premiers mets lorsque Galaad fit son apparition sur le seuil. Le seigneur l’invita très courtoisement à prendre place à ses côtés, ce qu’il fit, une fois désarmé, puis il se mit à manger et à boire de manière à honorer son hôte. Mais celui-ci, très satisfait d’avoir la visite d’un chevalier qu’il pensait bien être de la cour du roi Arthur, voulut également lui faire honneur. En face de lui, se trouvait un magicien fort habile et des mieux instruits qui avait accompli bien souvent des choses merveilleuses en sa présence et pour le plaisir de ses invités. Aussi dit-il à celui-ci : « Fais donc tes tours devant ce chevalier. Il appartient certainement au roi Arthur et une fois revenu à la cour, il y parlera de nous. » Le magicien eut l’air tout triste et désemparé. « Je sais bien d’où il vient, dit-il, et c’est effectivement de la cour du roi. Mais il m’est impossible d’exécuter le moindre prodige tant qu’il est là, presque en face de moi. – Pourquoi donc ? demanda le seigneur. – Il m’en empêche, murmura le magicien de plus en plus mal à l’aise. – Et comment t’en empêche-t-il ? – Seigneur, il m’est aussi impossible de te le dire qu’il m’est impossible de pratiquer des enchantements. »
Le seigneur se mit en colère. « Dis-moi tout de suite comment il t’en empêche, s’écria-t-il, ou je te fais mettre à mort sur-le-champ ! » Là-dessus, deux sergents s’emparèrent du magicien et lui tinrent solidement les bras. Voyant qu’il ne pourrait s’en tirer autrement, le magicien dit alors au seigneur : « Ordonne qu’on me lâche, et je parlerai. » Quand les sergents l’eurent relâché, il se tourna vers le seigneur et, les yeux baissés, tremblant de tous ses membres, il commença un long discours.
« Voici la vérité, dit-il. Je suis de race barbare, étrangère, mais bien autrement gentilhomme que tu ne te le figures, seigneur. Quoique, en effet, issu de race royale dans mon pays, je dus, par la faute des circonstances, m’exiler, et j’arrivai dans ce pays. Comme je n’étais pas chrétien, je reçus le baptême des mains de l’ermite Nascien que tu connais bien. Cependant, à peine eus-je reçu ce baptême que je commençai à pécher contre mon créateur plus que je ne l’aurais voulu et plus qu’aucun pécheur n’osa jamais le faire. Je n’en fus
Weitere Kostenlose Bücher