Galaad et le Roi Pêcheur
d’ailleurs pas plus heureux pour autant, car mon dénuement et mon désespoir n’étaient pas moindres qu’à mon arrivée.
« Or, un jour que je chevauchais dans une forêt, si désespéré que je n’avais plus foi en Dieu, je fis la rencontre d’un être infernal qui avait revêtu les dehors d’un homme riche et puissant. Il me demanda qui j’étais, et je lui racontai ma vie. Il me dit alors : « Si tu veux devenir mon vassal, il ne sera rien que tu désires sans l’obtenir. » Je lui répondis que je le servirais volontiers s’il daignait m’enseigner le moyen d’être riche ici-bas. Il me dit alors : « Je t’apprendrai des choses telles que tu t’en trouveras largement dédommagé. Mais, sache-le bien, pour ce faire, tu dois d’abord renier à mon profit tous tes autres seigneurs, à commencer par Dieu. » Je le promis bien volontiers et, de la sorte, reniai ma foi et devins le serf du Diable. Il m’apprit toute la science des enchantements qu’un mortel peut connaître. Il me prit en sa compagnie, et je ne pouvais souhaiter rien, en fait de nourriture ou de boisson, que je n’eusse satisfaction immédiatement {39} . Désirais-je éventer quelque secret, le secret n’existait plus, puisqu’il me l’expliquait. Et voilà comment, seigneur, j’accomplissais des prodiges en ta présence.
« Mais, je te l’affirme, seigneur, quand ce chevalier est venu s’asseoir près de toi, le Diable grâce auquel j’accomplissais ces prodiges s’est enfui de moi. Il ne pouvait rester en présence d’un saint homme ou d’un protégé de Dieu tel que celui-ci. Car ce chevalier est saint, n’en doute pas. Où qu’il se rende, il le fait sous la conduite des anges du ciel, et voilà pourquoi j’ai perdu toute la puissance de mes sortilèges dès son entrée dans cette salle.
— Ma foi, dit le seigneur, qu’il soit preux, je le crois volontiers. Mais je doute qu’il soit saint comme tu prétends. – Comment ? s’écria le magicien en se levant de son siège. Si tu ne me crois pas, si tu veux une preuve de ce que je t’affirme, prie-le de sortir, et tu constateras que je dis la vérité vraie. » Dans son impatience de savoir ce qu’il en était, le seigneur se tourna vers Galaad et lui dit : « Chevalier, ne prends pas à mal ce que je vais te demander. Je te prie de sortir quelques instants et de te tenir au-dehors jusqu’à ce que ce magicien m’administre la preuve de ses assertions quant à toi et quant à sa propre aventure. – Volontiers, seigneur », répondit Galaad qui, se levant de sa place, gagna la porte et sortit dans la cour.
Or, au moment même où il franchissait le seuil, on entendit un grand cri, et le magicien se mit à flamber et à brûler exactement comme une bûche bien sèche, puis fut emporté si haut dans les airs qu’il toucha le plafond. Et il hurlait de toutes ses forces et d’une voix si perçante que tout le monde l’entendait : « Galaad ! très saint chevalier ! si tu priais pour moi, je pourrais encore espérer le pardon de Dieu ! Par pitié, intercède en ma faveur, car toi, Dieu t’écoutera ! » Après ces paroles, le magicien disparut de la vue de tous ceux qui se trouvaient dans la grande salle. Ils se levèrent de table et vinrent s’incliner devant Galaad. Et quand fut venue l’heure d’aller se coucher, ils l’accompagnèrent jusqu’à la chambre où lui avait été préparé un lit {40} .
Le lendemain matin, dès les premières lueurs de l’aube, une jeune fille montée sur une mule se présenta à la porte du manoir et appela Galaad. On alla prévenir le seigneur et ce fut celui-ci qui vint entretenir la visiteuse et lui demander ce qui l’amenait à pareille heure. « Seigneur, dit-elle, je suis une demoiselle qui désire parler au chevalier que tu héberges en ton manoir. J’ai grand besoin de lui. » Le seigneur se rendit dans la chambre où dormait Galaad, le réveilla sans le brusquer et lui dit : « Chevalier, il y a une demoiselle qui veut te parler. Elle prétend avoir grand besoin de toi. » Galaad se leva et alla jusqu’à la porte. Là, il vit la jeune fille et lui demanda ce qu’elle désirait. « Galaad, répondit-elle, je désire que tu prennes tes armes, que tu montes en selle et que tu me suives. Je promets de te montrer la plus haute aventure que vit jamais chevalier de cette terre. »
Galaad vint prendre ses armes, sella son cheval, l’enfourcha, recommanda son hôte à Dieu et
Weitere Kostenlose Bücher